LE ROI LEAR

Article publié dans la Lettre n° 252


LE ROI LEAR de William Shakespeare. Texte français Michel Déprats. Mise en scène André Engel avec Michel Piccoli, Gérard Desarthe, Jean-Paul Farré, Jean-Claude Jay, Jérôme Kircher, Lisa Martino, Julie-Marie Parmentier, Anne Sée, Gérard Watkins.
Le roi Lear est vieux. Il sait que le temps est venu de lâcher les rênes du pouvoir. Il partage en trois son royaume et ses pouvoirs. Deux parts égales pour les aînées Goneril et Réjane, une plus importante pour sa préférée, la plus jeune, la frêle Cordelia. Les aînées encensent leur père de compliments éhontés, de mots flatteurs. Cordelia refuse cette courtisanerie de bas étage qui ternirait son ardent amour filial. Le vieux roi n’entend pas ce discours, il n’entend que la flagornerie. Cordelia est déshéritée et bannie du royaume. Tous ceux qui osent la défendre attirent le courroux sénile. Même Kent, ami et conseiller de Lear, ne peut lui faire entendre raison. Il part, mais garde un œil sur son roi. Lear a donné à ses filles la totalité de ses biens à charge pour elles de le recevoir à tour de rôle et d’entretenir son armée privée. Si Lear s’est dépouillé de ses biens terrestres et de ses charges, dans son esprit, il est toujours souverain. Deux rois pour un royaume sont sujets de discorde. Conflit, duplicité, lutte de clan, Lear se retrouve sur les routes avec une poignée de fidèles. Dans son errance, comprendra-t-il enfin la terrible leçon du désir, du pouvoir et du cœur?
William Shakespeare s’est inspiré d’un roi de la nuit des temps. Lear est une tragédie sombre et cruelle où fidélité et amour désintéressé sont mis à mal par l’aveuglement obtus. La version scénique que nous propose André Engel est plus un drame bourgeois. Le roi, ici, est un grand patron, voire un parrain de la mafia. Les costumes nous plongent dans les années 30. Le décor de Nicky Rieti utilise les Ateliers Berthier, vaste hangar, où il sera difficile de démêler les vraies parties architecturales, signées Garnier, des éléments du décor. Au-dessus de la porte principale, on peut lire à l’envers Lear Entreprise et Co. Le royaume de Lear est celui des affaires. Dans cette version écourtée, 2h40 au lieu de quatre ou presque, Lear voit son monde de vanité s’écrouler. Les grands monologues sont si tailladés que certains personnages perdent de leur substance et leurs agissements deviennent obscurs au public peu familier avec l’œuvre. Mais cette version garde malgré tout une approche plutôt réussie de la tragédie originelle.
Le roi Lear est une pièce cruelle. Les personnages principaux sont odieux. Lear est-il un vieillard sénile, un despote imbu de son pouvoir, un barbare sans sentiment? Ici, Cordelia est sacrifiée par son père. Les coupes du texte, la rendent tellement pâlotte qu’on l’oublie. On ne peut parler d’elle sans évoquer Edgar. Ils sont les enfants sacrifiés sur l’autel du malentendu et de l’orgueil paternel. Repoussés l’un et l’autre par un père qu’ils aiment sincèrement, ils persistent à défendre leur géniteur. Gloucester, fidèle lieutenant de Lear, rejette sans retour son fils Edgar, mais retrouvera ses sens une fois sa vue perdue atrocement. Lear retrouvera le chemin du cœur, perdu en pleine tempête et sauvé par des fous et des bouffons.
Michel Piccoli, qui erre dans ce grand hangar, est pitoyable au sens premier. Grandiose et brisé, il porte son absence de couronne avec une vraie modestie. Gérard Desarthe, sublime Kent, fidèle jusqu’à la mort à son vieux roi, est comme un renard déjouant les ennemis de Lear, du grand art. Jean-Claude Jay, Gloucester, est parfait, jouant de toutes les facettes de l’âme humaine, plus encline à croire la noirceur que la pureté. Jean-Paul Farré est Funicule, le bouffon. Qui mieux que lui aurait pu être cette voix de la raison? Jérôme Kirche, la sensibilité à fleur de peau, donne au rôle d’Edgar la lumière noire de la mélancolie. Ce succès annoncé, même s’il génère quelques réserves, est une bonne surprise et l’effet Piccoli permettra de faire connaître ce Roi Lear simplifié, plein de bruit et de fureur. Odéon-Ateliers Berthier 17e.


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