RITUEL POUR UNE MÉTAMORPHOSE

Article publié dans la Lettre n° 356
du 17 juin 2013


RITUEL POUR UNE MÉTAMORPHOSE de Saadallah Wannous. Traduction et collaboration à la version scénique Rania Samara. Mise en scène et version scénique Sulayman Al-Bassam avec Thierry Hancisse, Sylvia Bergé, Denis Podalydès, Laurent Natrella, Julie Sicard, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Marion Malenfant, Louis Arene.
Vers 1860, Damas est en proie à une liberté des moeurs propice à tous les dangers. Pour réprimer cette joyeuse débauche mais surtout asseoir son autorité religieuse, le mufti décide de frapper les esprits par une action exemplaire. Il fait arrêter par le chef de la police, le prévôt des notables et Warda, une courtisane, tous deux pris en flagrant-délit d’ébats illicites. Puis, pour confondre le chef de la police lui-même, il demande à Mou’mina, la femme du prévôt, de prendre la place de Warda dans la prison. Mou’mina accepte cette humiliante requête, tout en posant une condition, celle de rompre les liens de son mariage. Mais la jeune femme va bien au-delà de sa liberté recouvrée, elle décide de se faire courtisane. Belle et intelligente, elle prend le nom d’Almâssa (le diamant). En s’enrôlant ainsi « dans la corporation des putains », elle défie l’autorité séculaire détenue par les hommes et devient un élément perturbateur et incontrolable. Le mufti n’a pas mesuré le pouvoir d’une femme qui en principe n’en a aucun. Celui de sa séduction fait des ravages. L’atmosphère de la ville devient délétère: « Les gens sont devenus fous, ils ont été ensorcelés ». Damas étant sous domination ottomane, le gouverneur et la caste influente pensent qu’il faut « réparer l’erreur» en enjoignant le prévôt à répudier sa femme et en déclarant une fatwa. Le mufti, amoureux d’Almâssa, tergiverse. La décision reste dans les mains du sultan. Mou’mina paiera le prix de son combat d’émancipation.
Rituel pour une métamorphose pourrait être un conte oriental dont l’action se situerait à Sodome. Non la Sodome originelle, celle qui transgressait les lois de l’hospitalité, mais celle récupérée par les religions, chrétiennes en particulier, pour justifier la répression de l’homosexualité et exercer un pouvoir intransigeant sur le peuple. L’auteur syrien, Saadallah Wannous (1941-1997), décrit sans concession une société à la hiérarchie sociale clairement définie par un système de castes, où règnent l’hypocrisie et les faux semblants. Les codes établis mis à mal par l’émancipation de Mou’mina et les débordements qui s’en suivent, la voie mystique qu’embrasse Abdallah son époux, la transformation du mufti qui passe de la rationalité d’un pouvoir orthodoxe à l’irrationalité du désir, sont totalement révolutionnaires. La traduction, la mise en scène somptueuse, le choix subtil des costumes reflètent parfaitement l’ambiance sans les clichés orientalistes coutumiers.
Au cours du XXème siècle, des mouvements d’émancipation ont pris naissance dans plusieurs pays arabes, concédant une certaine liberté aux femmes, malgré la persistance des traditions de domination masculine. Paru en 1994, le texte possède une forte résonance si l’on considère les bouleversements des printemps arabes. Les pays qui en sont les acteurs sont, aujourd’hui, aux prises à des tensions politiques qu’exploite l’ordre religieux dont l’intégrisme tente d’imposer un dogme synonyme de régression. En inscrivant au répertoire une première œuvre de la littérature dramatique arabe, la Comédie Française se penche vers un autre monde, une autre civilisation et se fait l’écho de l’un des grands conflits qui secouent le monde actuel. La troupe, dans une parfaite osmose, en est la magistrale interprète. Comédie Française 1er.


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