RICHARD III

Article publié dans la Lettre n° 347
du 10 décembre 2012


RICHARD III de William Shakespeare. Mise en scène Jérémie Le Louët avec Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Noémie Guedj, Jérémie Le Louët, David Maison, Dominique Massat, Stéphane Mercoyrol.
Noir. Noir et rouge. Rouge comme le sang, comme la fureur, la passion, l’assassinat déployé. Noir comme le dessein innommable, celui de leur faire payer à tous la stigmatisation dès l’enfance, parce qu’on est le benjamin mal aimé, le bancal, le si disgracieux. Alors ce Méphisto difforme et boiteux arrivera au sommet du pouvoir, quoi qu’il en coûte aux faiseurs de simagrées, aux enfants bâtards ou clamés tels, à ces pimbêches méprisables qui se prennent pour des reines quand elles n’ont pas encore sombré dans la démence. Pour enfin se draper du rouge de la haine assouvie, dégouttant du sang égorgé, avant de s’abîmer dans les ténèbres définitives du trépas ignominieux. Richard est Le Monstre absolu, aussi cynique que séducteur, qui viole avec des mots d’amour celle qu’il vient de rendre veuve, qui détrône le roi dont il usurpera le titre, qui témoigne de son amour en égorgeant les frères de la convoitée. Il va même jusqu’à écraser l’ami fidèle, le loyal servant de sa tyrannie. Et nul cheval ne viendra le sauver de sa déroute.
Richard III est l’un des plus admirables complots que Shakespeare ait concoctés pour fasciner le spectateur, qui assiste, témoin lucide et impuissant, à sa propre captation. Plein de dégoût pour une telle abomination et tout à la fois aimanté par la splendeur de cette parole barbare. Nul plus que le diabolique fomenteur ne sait manier, manipuler, apprivoiser la langue de l’horreur, toute traversée de fulgurances et de miel empoisonné.
Jérémie Le Louët l’a bien compris, tant dans la densité qu’il confère au personnage éponyme, que dans sa mise en scène à la fois dépouillée et baroque, qui ne joue d’artifices que par le jeu des grilles qui se font prison, murailles, trône en ascension. Les ténèbres omniprésentes de cet espace quasi vide sont trouées des halos intimes de la vérité susurrée ou zébrées d’éclairs de violence à l’aune des éclats de cacophonie. Comme par antiphrase, les in petto de Richard ou les délires prophétiques des avatars de reines sont amplifiés par le micro, la voix est veloutée et sardonique dans le même instant, et les femmes conquises, avec un regard extatique, exhalent leur dégoût morbide dans la plainte tragique.
Maître d’un monde de furie déclinée jusqu’à l’orgasme, Richard puise-t-il dans cet absurde massacre la satiété de sa jouissance ? Rien n’est moins sûr. Et son anéantissement solitaire n’est que l’écho d’un vide insondable.
Rouge comme le velours des suaires et des manteaux de roi. Noir comme les yeux brûlants et les cheveux en casque de Jérémie Le Louët (Richard). Noir comme l’enfer intime où s’abîmera le pouvoir dans la force de ses incendies. Le mot ultime restera au silence assourdissant de la terreur. Vaincue ? Voire… Une inexorable leçon de corruption et d’inhumanité. Théâtre 13/Seine 13e. A.D.


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