PYGMALION

Article publié dans la Lettre n° 392
du 8 février 2016


PYGMALION de Bernard Shaw. Traduction et adaptation Stéphane Laporte. Mise en scène Ned Grujic avec Lorie Pester, Benjamin Egner, Sonia Vollereaux, Jean-Marie Lecoq, Philippe Colin, Claire Mirande, Emmanuel Suarez, Cécile Beaudoux.
Cyniques, égoïstes et misogynes. En somme, affreux, propres et méchants. Eux, ce sont les deux linguistes, goujats imbus de leur science, qui, dans un pari aussi risqué que révoltant, n’hésiteront pas à faire une bouchée de la pauvresse laborieuse, croisée sous la pluie des parvis de l’Astoria. Ravissante, sale et mutine, douée de la langue bien pendue des gamines de la rue, cette petite tigresse en haillons griffe à tout va quiconque voudrait la dompter. Mais comment résister aux sirènes du confort et du luxe, comment leur opposer sa naïveté de fille maltraitée par un père escroc ? Eliza ne fera pas le poids face à l’insensibilité sans faille de ces deux célibataires endurcis en quête d’amusement. Sans faille ? voire… La souillon, sous les doigts prévenants de la gouvernante, quitte sa chrysalide de crasse gouailleuse pour les ailes d’un papillon ravissant et docile. Les leçons de diction ont fait merveille, elle peut désormais jouer les mystérieuses étrangères dans les salons huppés. Le pari est gagné, les compères se congratulent, et le père s’en met plein ses poches de parasite. C’est compter sans l’attachement subreptice qu’a tissé la cohabitation studieuse, qui laisse un vide insondable quand le jeu, même cruel, prend fin. On ne jette pas l’objet aussi facilement qu’on l’a pris, la jalousie s’insinue dans le cœur d’Higgins, quand Freddy l’amoureux un peu niais offre un espoir à la jolie délaissée, et si la mère possessive s’en mêle…
Ils ne se marièrent pas, n’eurent peut-être pas d’enfant, mais l’insensible goujat ne s’en sortit pas indemne malgré sa pirouette finale. Derrière l’apparence de conte de fées, la leçon morale est sans illusion, le pauvre se plaint d’être devenu riche, la jeune femme a gagné le respect avec les armes d’une sensibilité revendiquée, mais pour quelle victoire ?
La scène se fait parvis de cinéma, appartement d’expérimentation linguistique, salon pour thé mondain, et les baies vitrées se muent en écran d’actualités hollywoodiennes. Dans le fondu enchaîné qui substitue la délicieuse Lorie Pester à sa mythique devancière Audrey Hepburn, on retrouve l’atmosphère insouciante des grandes années du cinéma musical de l’après-guerre. La comédie dansée et chantée n’est pas loin et contribue à conférer à cette joyeuse mise en scène un petit goût de nostalgie rieuse auquel la performance sans défaut des acteurs contribue amplement. Vous reprendrez bien a nice cup of tea, ou alors un peu de champagne avec quelques bulles ? Avec grand plaisir ! A.D. Théâtre 14 14e.

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