PHEDRE

Article publié dans la Lettre n° 210


PHEDRE de Jean Racine. Mise en scène Patrice Chéreau avec Dominique Blanc, Nathalie Bécue, Christiane Cohendy, Michel Duchaussoy, Pascal Greggory, Marina Hands, Eric Ruf, Agnès Sourdillon.
De tous les rôles du répertoire tragique, Phèdre est celui que toute comédienne rêve d’interpréter. Le chef-d’oeuvre de Racine offre un rôle superbe, complexe combat de l’humain et du divin. Phèdre souffre. Elle aime sans retour son beau-fils Hippolyte. Torturée par ses sens, accablée d’aimer sans l’être, l’épouse de Thésée sait qu’elle est coupable. Elle déploie une injustice sinistre envers l’objet inaccessible de sa funeste passion. Impuissante au mal qui dévore sa maîtresse, Oenone voit Phèdre détruire et se détruire. Aricie, la princesse aimée par Hippolyte malgré l’interdit paternel est, comme tous les protagonistes, laminée par un tragique destin.
Patrice Chéreau utilise le même dispositif scénique créé pour Dans la solitude des champs de coton. Des gradins sont disposés de part et d’autre d’une longue scène. Au fond, le palais taillé dans la roche ressemblant à Petra. Pas d’effet, pas d’accessoires inutiles, rien d’indifférent ou de superflu. Le texte de Racine est une épée de l’alliage le plus pur, sa lame est tranchante, nécessitant une technique imparable. Pour cette introspection passionnante de ce texte sublime, Patrice Chéreau a réuni une distribution supérieure. Jamais Phèdre n’a été joué comme cela, jamais nous n’avions entendu le texte avec cette portée, cette force, ce désespoir. Aucun rôle n’est vain, ils se répondent tous, jouant un jeu de miroir et de double décalé. Patrice Chéreau donne à Eric Ruf l’une de ses plus belles interprétations. Enfin nous avons un Hippolyte digne du Prince de Trézène, ce jeune homme prisonnier d’un sort injuste. Michel Duchaussoy est un comédien toujours étonnant dans tous les registres. Le récit de Teramène est légendaire, Michel Duchaussoy prend des temps, osant des hésitations dans le récit de la mort d’Hippolyte, donnant des images effroyables de la fin injuste de l’innocent avec une intensité rarement atteinte. Dans ce florilège de compliments, il faut citer Nathalie Bécue, Marina Hands, émouvante Aricie, Agnès Sourdillon, Pascal Greggory, royal et injuste. Christine Cohendy donne des accents poignants à Oenone. Et puis, il y a Dominique Blanc. Elle est souveraine et pitoyable. La fille du soleil attirée par les ténèbres souffrant mille morts pour sa passion coupable. Son interprétation est magistrale et compose une Phèdre de légende. Un spectacle inoubliable. Odéon Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier 17e jusqu’au 20 avril 2003.


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