LA PASSATION

Article publié dans la Lettre n° 420
du 27 mars 2017


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LA PASSATION de Christophe Mory. Mise en scène Alain Sachs avec Pierre Santini, Éric Laugerias.
Ils s’affrontent depuis des années et les urnes ont parlé. Le score est sévère. Le président en place depuis cinq ans doit abandonner sa fonction à celui qui vient de remporter les suffrages d’une population adepte du changement, parfois persuadée que l’herbe est plus verte ailleurs. C’est le moment délicat de la fameuse passation, dans le bureau du président sortant, loin des regards… quoique. Les commentateurs des chaînes de télévision supputent sur le temps de l’attente, sur les dossiers importants qu’ils doivent évoquer. Et cette fois, ils prennent leur temps. Frustré par son échec et convaincu qu’il lui aurait fallu un second mandat pour mener jusqu’au bout les reformes qu’il a entreprises, le vieux renard tente d’expliquer au jeune loup les choses essentielles qu’il doit connaître : les dossiers sensibles en cours, le maniement complexe des appareils téléphoniques, celui tout aussi redoutable du téléphone qui le relie aux chefs d’état du monde entier, l’attention portée aux mots à employer pour s’adresser à eux, la traduction étant parfois surprenante. Mais dressé sur ses ergots, le jeune coq ne veut rien savoir puisqu’il sait tout ! Sa morgue est à l’aune du mépris que lui inspire celui qu’il vient de battre, sa victoire l’égare. La seule chose qu’il réclame avec insistance, ce sont les chiffres du code de dissuasion nucléaire, summum de sa réussite. Le vieux lion tergiverse, tente de recentrer son adversaire sur les dossiers essentiels, persuadé que l’on a tout à apprendre de son prédécesseur, même perdant, évoque le souvenir d’un repas d’une extrême finesse partagé ensemble en ce lieu puis, n’obtenant pas l’écho souhaité, s’énerve. Dans l’attente de leurs épouses dont l’une prend le relais, il se met à lui faire croire n’importe quoi et s’emploie à le ridiculiser face aux caméras. Il y réussit mais la vengeance est un plat qui se mange froid. Cinq ans plus tard, bien des choses auront changé mais pas la nature des hommes !
Caustique, Christophe Mory imagine ce rendez-vous incontournable des deux prétendants, celui qui, aveuglé par la victoire, ne mesure pas l’ampleur de la tâche, l’autre s’effaçant avec la désillusion de ses espoirs déçus, l’amertume du manque de reconnaissance du travail accompli, le souvenir persistant du harcèlement des medias épiant faits et gestes, du moindre faux-pas guetté par l’opposition et la lassitude face à un labeur sans répit. Mais c’est surtout la solitude qu’il évoque, écrasante, seul dans ce palais face aux décisions à prendre. Pierre Santini incarne avec force l’homme qui laisse la place, marqué par cinq années de pouvoir. Éric Laugerias incarne celui qui prend sa place, jouant parfaitement l’homme aveuglé par ses illusions et cette confiance en soi qui sera vite entamée.
Une autre face du miroir de la fonction la plus haute de l’état et de celui qui, selon le président sortant, n’est jamais, tout compte fait, qu’un fonctionnaire. M-P P. Théâtre Les Feux de la Rampe 9e.


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