LA PAPESSE AMERICAINE

Article publié entre les Lettres n° 314 et 315


LA PAPESSE AMÉRICAINE d’après le pamphlet d’Esther Vilar. Adaptation Robert Poudérou. Mise en scène de Thierry Harcourt, avec Nathalie Mann.
Elle est belle, élancée, séduisante dans sa tenue d’ecclésiastique, si noire, si seyante. Des bras longs à cueillir le ciel. Le Ciel, tiens, parlons-en. Ou plutôt, laissons-la en parler, lui parler, avec une verve ô combien décapante. Et elle est fondée à le faire, puisque les quelques survivants d’une Église papiste qui a fondu comme la banquise en cette année 2040 l’ont élue interlocutrice privilégiée avec le Très-Haut. Jeanne II, la première (ou presque…) à s’asseoir sur le Saint-Siège dépossédé de ses fastes d’antan, dans une portion plus que congrue d’un Vatican désormais livré aux appétits immobiliers des marchands d’un Temple bien profane. Récession religieuse…
Devant les caméras qui enregistrent ses paroles d’intronisation, elle va, au milieu d’intempestifs (et très drôles) messages publicitaires, dévoiler progressivement la teneur de sa non-foi efficace, proposer un programme de retrouvailles avec les splendeurs passées. Ah, le bon vieux temps du Bon Dieu, revenons-y vite, dit-elle en substance. Manteau brodé, tiare, crosse, trône, ors et pouvoirs, tout l’arsenal de la Reconquista.
Le texte d’une étonnante densité oscille entre rire, sarcasme, cynisme, sincérité et élans de conviction au-delà des poncifs religieux, à la mesure de la déception indignée devant un tel gâchis et de la nostalgie des jours anciens. Inclassable à tout le moins.
Il fallait toute l’énergie modulée et la superbe palette de nuances de Nathalie Mann pour en rendre l’ambiguïté et la force corrosive. Ah, que la croisade est jolie quand elle se dit en mots si percutants et gestes si gracieux… Collège de la Salle, Avignon 84. A.D.


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