L'OUEST SOLITAIRE

Article publié dans la Lettre n° 209


L'OUEST SOLITAIRE de Martin Mc Donagh. Texte français et mise en scène Bernard Bloch avec Michel Kullmann, Maxime Leroux, Vincent Jaspard, Chloé Lambert.
Un plancher, un poêle, deux chaises d'enfant. Ce décor minimaliste ne ressemble en rien aux didascalies de l'auteur mais le mécanisme judicieux qui le supporte permettra de suggérer de belle manière la rive d'un lac glacé, aux ondes métalliques et meurtrières. Dans l'humble masure de l'ouest irlandais, deux frères cohabitent, prisonniers d'un ressentiment réciproque. Dire que Coleman et Valene ne s'aiment pas serait un euphémisme. Depuis leur plus jeune âge, ils se battent, se défient et laissent dans le coeur de l'autre des blessures indélébiles. Année après année, une haine féroce les habite que rien, pas même la dernière supplique que leur adressera le curé de leur paroisse, ne pourra changer. La misère, la solitude, la boisson ont forgé et attisé le mal qu'ils se font. Entre eux, la mort du père, accident ou meurtre, est l'unique secret qu'il partage, mais pas pour longtemps. Roderick Welsh, le jeune curé qui leur rend visite, s'adonne lui aussi à la boisson, seul exutoire à son désespoir nourri par l'impuissance de ne pouvoir changer les moeurs sordides de ses ouailles. Le suicide de Tom, ami d'enfance des deux frères, représentera pour lui l'épilogue insoutenable d'un combat sans espoir. Au milieu de cette fange, évolue Girleen, toute jeune fille, intelligente et avisée, que la vie a déjà marquée au fer rouge, mais qui garde encore dans son coeur un amour, une poésie, un romantisme qu'elle ne peut extérioriser.
Martin Mac Donagh, auteur d'origine irlandaise, n'a que trente ans et déjà cinq pièces à son actif. Celle-ci fait partie d'une trilogie qui donne diablement envie de découvrir les deux autres. Il s'est inspiré des moeurs de cet ouest irlandais dont il est issu, bercé par les histoires racontées par la famille. Il explore sans concessions l'effarant archaïsme de l'environnement, la primarité de ces hommes, laissés pour compte de la société, sans amour, sans espoir, ancrés dans un célibat définitif. La parfaite construction de sa pièce, l'étude très équilibrée des quatre caractères, l'écriture vive aux dialogues incisifs et crus rappellent Steven Berkoff, londonien lui aussi qui, avec Greek et Kvetch, décrit la même rage et la même haine.
Les quatre rôles de la pièce sont complémentaires et d'une importance presque égale. Sur Vincent Jaspard, le curé, et Chloé Lambert, Girleen, repose la lourde tâche d'exprimer des sentiments en marge de la vie qui leur est offerte. Ils sont remarquables. Michel Kullmann et Maxime Leroux, les deux frères, doivent, quant à eux, sortir de leurs tripes les ressentiments, les frustrations, les regrets, ciment de leur haine. Ils se jouent de façon magistrale de l'extrême difficulté de ces rôles de composition, à la fois semblables mais pourtant si différents car si l'on ne sent rien d'humain dans l'âme de Coleman, il y a chez Valene un je ne sais quoi de vulnérable et de touchant que le talent de Maxime Leroux exprime avec une admirable aisance. Théâtre du Rond-Point 8e (01.44.95.98.21) jusqu'au 15 février 2003. Lien: www.theatredurondpoint.fr


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