L'OPERA DE SARAH
Première époque : Avant l'Amérique

Article publié dans la Lettre n° 294


L’OPÉRA DE SARAH. Première époque: Avant l’Amérique de Alain Marcel. Mise en scène de l’auteur avec Jérôme Pradon et Damien Roche (pour l’arrangement pianistique et l’accompagnement).
Les amateurs de décors en seront pour leurs frais : le grand piano noir et un banc occupent toute la scène. Nul besoin d’écrin, d’ailleurs, pour la performance que Jérôme Pradon et Damien Roche réservent au public.
Nous voici en Bretagne, à Quimperlé. Nourrice parle à Sarah, sa très jeune pensionnaire, ce qui donne phonétiquement: « Bokéde lèze ! Bokéde lèze ! Bokéde lèze ! ». La conversation se poursuit de la même manière et nous commençons fermement à espérer des sous-titres lorsqu’un « non » têtu d’enfant surgit de la gorge du comédien ! Sarah Bernhardt, tout juste six ans, semble avoir déjà le sens de la répartie! Elle a échoué là pour cause de désamour, pense-t-elle, parce que ta mère est très occupée, corrige Nourrice. Par bonheur, l’échange continue en français. Entre quelques dialogues, afin de ne pas perdre le fil de l’histoire, et les chansons, nous découvrons la vie semée d’embûches de cette comédienne hors normes qui vécut à une époque difficile qui ne lui fit aucun cadeau. D’une trempe peu commune, elle affronte avec une volonté et une incomparable énergie son physique ingrat d’enfant, sa judaïté, l’abandon du père, les difficultés financières de sa mère, la guerre de 1870 et ses horreurs, les critiques souvent incendiaires, profitant de l’aide de ses nombreux « parrains » pour se hisser sur la marche la plus haute du succès.
Alain Marcel nous offre en deux heures un superbe cadeau. Son opéra, car il s’agit véritablement d’un opéra à une voix, d’une incroyable densité, emballe dès le début par sa vivacité et son intérêt car il fait revivre comme si nous y étions le destin de la première partie de la vie de la célèbre actrice. Le texte est un récit chanté d’un excellent niveau tant musical qu’émotionnel, écrit et mis en musique en s’inspirant de l’atmosphère musicale de l’époque. Nous suivons cette existence cahotante comme un feuilleton, suspendus aux lèvres de Jérôme Pradon, comédien chanteur aux capacités vocales éblouissantes, révélé au public lors de sa prestation dans Le Cabaret des hommes perdus (Lettre 260). Seul en scène, il est mis en valeur par la scénographie et les lumières qui créent les ambiances et les lieux. Damien Roche, véritable virtuose au piano, l’accompagne avec une formidable énergie. Jérôme Pradon passe d’un personnage à l’autre, mime et imite les voix d’une soixantaine d’entre eux, hommes, femmes ou enfants qui ont partagé la vie de Sarah. Son tour de force laisse pantois d’admiration.
Cet audacieux opéra, où rien de la vie tumultueuse au parfum de scandale de Sarah Bernhardt ne reste dans l’ombre jusqu’à la fin de son séjour en Angleterre, clôt la première partie. L’ envie de voir la suite avec la tournée en Amérique, déjà écrite et qui devrait suivre, s’empare alors du public conquis. Théâtre de l’Oeuvre 9e.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » il suffit de fermer cette fenêtre ou de la mettre en réduction