L’OPÉRA DE QUAT’SOUS

Article publié dans la Lettre n° 327
du 23 mai 2011


L’OPÉRA DE QUAT’SOUS de Bertolt Brecht. Traduction Jean-Claude Hémery. Musique Kurt Weill. Mise en scène et costumes Laurent Pelly avec 25 comédiens dont Véronique Vella, Thierry Hancisse, Sylvia Bergé, Bruno Raffaelli, Jérôme Pouly, Laurent Natrella, Christian Gonon, Léonie Simaga, Serge Bagdassarian, Marie-Sophie Ferdane, Stéphane Varupenne, Nâzim Boudjenah, Félicien Juttner, Pierre Niney, Jérémy Lopez et 13 musiciens.
Deux « hommes d’affaires » règnent dans le quartier populaire de Soho à Londres. Le roi des mendiants Jonathan Peachum, et un dangereux gangster Macheath, dit Mackie Messer ou Mackie le Surineur. Le premier tient d’une main de fer tous les mendiants du quartier qu’il rackette au passage. Le second écume les beaux quartiers où ses vols ne se comptent plus. Entre eux, s’instaure une lutte de pouvoir puis une guerre sans merci lorsque Jonathan Peachum apprend que Polly, son unique fille chérie, enlevée et séduite par Mackie, l’a secrètement épousé. Jonathan et sa femme Celia rejettent catégoriquement ce qu’ils considèrent comme une mésalliance et font pression sur Tiger Brown, le chef de la police, afin que celui-ci se décide à arrêter Mackie. Ils le menacent de troubler les fêtes du couronnement de la reine qui vont avoir lieu. Mais Brown est un ami de longue date de Mackie. Sa fille Lucy a d’ailleurs également épousé Mackie ! Cette rivalité entre les deux jeunes femmes pour la possession exclusive d’un homme, et la jalousie de Jenny, reine du lupanar, ne font qu’attiser la guerre entre le « roi des mendiants » et le « roi des voleurs ». Arrêté malgré tout et emprisonné, Mackie s’évade une première fois puis, de nouveau arrêté, il est jugé et condamné à être pendu. Mais le jour d’un couronnement, tout est possible…
Cet opéra créé en 1928 à Berlin connut un immense succès partout en Europe. Genre nouveau de théâtre musical, certains de ses chants, celui d’ouverture, La complainte de Mackie, ou Alabama Song, acquerront une immense popularité. L’ oeuvre sur la scène du Français devient du grand spectacle où mendiants, voleurs, putains, représentants de l’ordre jouent et chantent dans des décors impressionnants qui suggèrent les différents lieux. Repaire où règnent les Peachum, couple d’enfer que forment Véronique Vella, voix superbe, et Bruno Raffaelli, stature imposante et voix grave inimitable. Tannière de Mackie, joué par Thierry Hancisse, d’un naturel confondant en gangster déchaîné et amant volage. Lieu sordide et nouveau logis de la jeune Polly, divine Léonie Simaga à la voix enchanteresse. Prison où se rend une Lucy amoureuse, excellente Marie-Sophie Ferdane, débordante d’énergie, venue demander des comptes. Bordel dont l’ambiance est remarquablement restituée par le décor et les filles, dont la traitresse Jenny, superbe Sylvia Bergé … Cette débauche de décors, de comédiens, cette succession trépidante de scènes, de péripéties et de rebondissements donnent à voir et à entendre un spectacle fulgurant où la complicité qui unit toute la troupe est palpable.
Influencé par le mouvement expressionniste, Brecht instaure avec cet opéra ce qu’il nomme la distanciation, conception du spectacle qui permet à ses acteurs de s’adresser parfois directement au public. Les nombreuses mises en abyme créent une deuxième instance scénique à l’intérieur de la première. Les personnages deviennent à leur tour spectateurs, ce qui accroît l’illusion de l’implication du spectateur lui-même, profondément ressentie par le public. Tout est ici parfaitement orchestré, comme est relevée aussi l’omniprésente violence satirique envers la société capitaliste chère à l’auteur. Laurent Pelly l’a parfaitement compris. En situant sa mise en scène dans l’Angleterre contemporaine, le regard lucide et caustique de Brecht sur la société de son époque n’a pas pris une ride. Sa question « Qui est le plus nuisible ? Celui qui braque les banques ou celui qui les crée ? », possède plus que jamais son sens et sa force et fait de l’Opéra de quat’sous une œuvre universelle et intemporelle. Comédie Française 1er.


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