OPEN SPACE

Article publié dans la Lettre n° 384
du 15 juin 2015


OPEN SPACE. Conception et mise en scène Mathilda May avec Stéphanie Barreau, Agathe Cemin, Gabriel Dermidjian, Loup-Denis Elion, Gil Galliot, Emmanuel Jeantet, Dédeine Volk-Leonovitch.
L’open space de l’agence est plongé dans une semi obscurité, seulement éclairé par un néon poussif. La femme de ménage s’affaire, enfin, c’est un bien grand mot, elle caresse les meubles de son chiffon à poussière, contournant largement les objets, passe distraitement la serpillière, noire de crasse, celle ronde à gros fils que l’on presse pour essorer et qui ne nettoie rien. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur un petit groupe baigné dans une mélodie lénifiante. Les employés en sortent et poursuivent leur « conversation » tout en retirant manteaux, gants et chapeaux. Puis ils prennent place dans leurs fauteuils respectifs qui grincent sous leur poids. Leurs bureaux ont, eux aussi, vécu de meilleurs jours. Sur celui de l’employé mis au placard depuis un certain temps, trône un minitel, comme lui vestige d’une époque à jamais révolue. Chacun vaque à ses occupations, répond au téléphone, délivrant le même message d’accueil émis sur des tons différents. Les heures s’écoulent entre les ordinateurs, la machine à café, la photocopieuse, les séjours plus ou moins prolongés dans les espaces toilettes ou fumeurs. Les comportements trahissent les caractères et les états d’esprit. La réalité se mêle aux rêves les plus fous, l’imagination se libère chez le narcissique ambitieux, l’amoureuse transie, la vampe aux talons rouges, celle qui tutoie un peu trop la bouteille et bien sûr l’employé mis au placard qui tente vainement d’attirer l’attention. Survient le patron harcelé par une épouse acariâtre et angoissé par les résultats apparemment désastreux de son agence. On dialogue, on pique des fous rires, on s’épie, on se jalouse, bref, on vit une journée de la vie quotidienne d’une agence, interrompue par des éléments extérieurs, réparateur de la machine à café accueilli avec enthousiasme ou livreur de pizzas…
Ce spectacle sans texte n’existerait pas sans le sens aigu de l’observation de Mathilda May et le formidable travail de la musique, de la chorégraphie et du bruitage qui l’accompagnent. Le microcosme qui s’ébat dans l’espace décloisonné, décor efficace d’Alain Lagarde, est croqué avec une profusion d’idées aussi désopilantes qu’émouvantes. Les moindres actions ou gestes sont ponctués par le bruit amplifié qui les caractérisent, le clapotement de l’eau au contact de la serpillière, le grésillement du néon, le gargouillement du comprimé effervescent, le claquement des talons hauts sur le sol, le crachotement de la machine à café récalcitrante, le fracas de la chasse d’eau, les timbres divers des sonneries ... Les « monologues » ou « dialogues » sont réduits à un babillage incompréhensible émis par des employés pas toujours modèles, de temps en temps ponctués par des chansons ou des pas de danse, face à un patron qui perd peu à peu les pédales. Cette journée de labeur ordinaire s’écoule, émaillée de petits événements extraordinaires, le discours aux accents très hitlériens du patron, des tentatives de suicide vouées à l’échec, un anniversaire souhaité à l’employé mis au placard, salué par un Happy birthday to you, où le prénom est escamoté pour l’avoir complétement oublié, le malaise imprévu et l’arrivée du Samu… L’ osmose se fait entre les comédiens dont on admire l’aisance du jeu corporel et gestuel. La bande sonore colle parfaitement au comique de situation. Une véritable prouesse technique et artistique. MP.P. Théâtre de Paris 9e.


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