ONCLE VANIA FAIT LES TROIS HUIT

Article publié dans la Lettre n° 475
du 20 mars 2019


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ONCLE VANIA FAIT LES TROIS HUIT de Jacques Hadjaje. Mise en scène Anne Didon et Jacques Hadjaje. Avec Ariane Bassery, Isabelle Brochard, Sébastien Desjours, Anne Dolan, Delphine Lequenne, Laurent Morteau, Jacques Hadjaje ou Pierre Hiessler.
Une usine de robinetterie, en Limousin. Sept ouvriers, quatre femmes et trois hommes d’âges variés, se retrouvent depuis nombre d’années autour d’un amour du théâtre auquel ne les prédisposait guère leur piètre culture. Si ce n’est la figure centrale de leur explication des textes, le prêtre ouvrier, Pierre. La toute jeune arrivée, Clara, s’intègre progressivement à cette troupe de copains, dans les rires complices, les douleurs partagées. La grève ouvrière plane en ombre portée sur leurs répétitions de la pièce de Tchékhov « Oncle Vania ». Texte difficile, à comprendre, à apprendre, à jouer. De quoi s’interroger sur la pertinence de ce choix de pièce, lorsque la vie à l’extérieur est si complexe et menaçante. Et pourtant, c’est là que se cimentent les idéaux presque toujours déçus, les doutes si perceptibles, la vraie tendresse au-delà des insolences et des aigreurs échangées, sur les filigranes de leurs joies et de leurs échecs de vie. L’alcoolisme de l’une, la solitude bravache de l’autre, la jeunesse têtue de Clara, le désarroi conjugal de Jeff. Estevan-Vania est en proie à un doute croissant, les conflits sociaux ramènent à la surface de leurs mémoires les mouvements estudiantins de la capitale, la fierté des filiations ouvrières, « Et je l’ai aimée, cette vie d’usine », dit Estevan. Le rejet des obéissances naïves de l’adolescence, « J’aurais mieux fait de lui mettre une claque à ce curé. Oui, j’aurais mieux fait de me mettre en colère », s’exclame Clara.
L’ été arrive, l’usine est fermée, la pièce ne sera pas jouée, pas encore, « tout ce travail qu’on a fait, il est pas perdu ! ». L’avenir de l’emploi s’annonce bien sombre à la rentrée.
Le théâtre dans tout ça ? « Est-ce que tu peux faire tomber des murs avec des mots ? ». Oui, le théâtre peut le faire et la pièce sera jouée, le trac au ventre.
Magnifique mise en abyme que cette pièce de Tchékhov « retravaillée » par Jacques Hadjaje, qui y campe un émouvant Estevan pétri de doutes et d’amnésies. Autour de lui, les comédiens font corps et choeur dans la chaleur et les rires. La mise en scène en est d’autant plus dépouillée que l’entrelacement des thèmes y est riche de significations et d’émotions sans pathos.
Une belle leçon de littérature, de théâtre, d’humanité. A.D. Théâtre de Belleville 11e.


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