OH LES BEAUX JOURS

Article publié dans la Lettre n° 337
du 27 février 2012


OH LES BEAUX JOURS de Samuel Beckett. Mise en scène Marc Paquien avec Catherine Frot et Pierre Banderet.
On croirait le corps de Winnie engoncé jusqu’à la taille dans une immense coquille d’huitre. La toile de fond en reprend la couleur gris foncé presque noire pour dessiner la côte au second plan, entre une plaine blanche, désolée, et un ciel de même couleur. Dominique Bruguière, par la magie de ses lumières, se chargera d’en varier les tonalités. Juste au centre de ce superbe monticule aride, sous la lumière aveuglante - il fait si chaud - une sonnerie stridente la réveille. Avec son gracieux port de tête coiffé d’un serre tête orné de quelques plumes, ses épaules charnues et une poitrine bien prise dans un petit caraco de soie brodé, qui lui donnerait ses cinquante ans ? Elle se redresse en silence ou presque, use de quelques monosyllabes pour dire une prière, puis profère des phrases qui ponctuent les gestes quotidiens et meublent le temps, entre la sonnerie du matin et celle du soir qui rappellent le début puis la fin de la journée. Dramatiquement prisonnière de la gangue qui l’entrave, elle est bien vivante. A sa droite, une ombrelle, à sa gauche, un sac en plastique noir dans lequel elle farfouille pour en sortir, brosse à dents, mouchoir, glace, stylo, rouge à lèvres, revolver ou boite à musique. Derrière elle, Willie, occulté par le monticule, est allongé. Elle l’a interpelé, il s’éveille, s’assied, essuie son crane marqué par un mince filet de sang, puis déplie son journal.
Winnie voit s’écouler les jours avec un courage mêlé de résignation, de l’aplomb et même un certain enjouement. Lucide et digne face au passage inéluctable du temps, elle monologue sur la vacuité de l’existence. Elle égrène les souvenirs d’une époque passée ou commente les aléas du quotidien mais s’estime heureuse : « Oh le beau jour encore que ça va être ! ». « Encore un ».
Ensevelie jusqu’à la taille, elle s’enfonce inexorablement et bientôt on ne verra plus d’elle que la tête et son cou. Plus de gestes, seul son visage s’anime alors, elle lutte encore. Willie, redevenu invisible, ne répond plus. Elle entend des bruits, des bruits qui l’aident à « tirer sa journée ». Puis enfin Willie réapparaît à quatre pattes. Heureuse, elle s’exclame une fois encore : « Oh le beau jour que ça aura été ». « Encore un ». « Après tout ».
Catherine Frot s’approprie brillamment le texte mythique à la fois poétique et plein d’humour de Samuel Beckett. Elle possède toutes les qualités pour en endosser l’héroïne, « un être en apesanteur que la terre cruelle dévore », et montre à chaque instant le naturel qui la caractérise, mélange de candeur, de spontanéité, de gaieté et de fantaisie. Usant de l’infinie palette des expressions de son visage, elle louche, fait la grimace, la moue, tire la langue, gonfle les joues, babille et captive ainsi un public charmé. Elle aussi fera date, tout comme Madeleine Renaud, Denise Gence ou Catherine Samie en leur temps. Théâtre de la Madeleine 8e.


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