OH LES BEAUX JOURS

Article publié dans la Lettre n° 249


OH LES BEAUX JOURS de Samuel Beckett. Mise en scène Frederick Wiseman avec Catherine Samie, Yves Gasc.
Une sonnerie stridente hurle, un soleil de plomb domine un étrange mamelon de terre coiffé par le buste d’une femme âgée. « Ah, quelle belle journée! » s’extasie Winnie. Elle s’éveille en glorifiant chaque nouvelle journée. Près d’elle, à portée de sa main, son sac rempli d’accessoires indispensables. Elle est coquette et, malgré les ans, toujours soucieuse de son apparence. Winnie se souvient de son passé, de ses amours. Elle est touchante. Alors qu’elle s’enlise, elle espère. Sa tête seule émergeant d’un mamelon, qu’espère-t-elle ? Encore un jour madame la mort, encore un jour. Elle ne soliloque pas. Elle s’adresse à Willie, son compagnon. Ils forment un vieux couple, avec ce mélange d’exaspération et d’habitude, cimenté par une solide affection. Tous les deux se sont certainement aimés passionnément. Il la regarde béatement comme une icône devenue inaccessible.
Cette nouvelle production à la Comédie-Française est un événement. La mise en scène est confiée à Frederik Wiseman, grand admirateur de l’auteur. Beckett est un classique moderne et Frederick Wiseman le monte avec respect et intelligence, en sortant des traditions de mise en scène. Son travail est passionnant car il nous entraîne sur d’autres rives. Rarement on aura ressenti à ce point le ton mortifère et drôle de l’oeuvre. Le scénographe Paul Andreu reprend les indications très précises de Beckett mais il remplace la dune par un mamelon évolutif, comme si la mort et le poids des jours qui passent étaient aussi un accouchement difficile. La pièce réunit deux grands comédiens. Willie n’a qu’une cinquantaine de mots à dire. On ne le voit pratiquement pas mais son rôle n’est pas accessoire. Il relance sans cesse Winnie dans sa rêverie éveillée, dans son ode à la nouvelle journée. Il a ici la voix si particulière et si reconnaissable de Yves Gasc. Sa prononciation parfaite et sa présence donnent à Willie une épaisseur rarement atteinte pour ce personnage. Winnie, entourée de ses accessoires de vie, combat le temps avec ses armes. Elle est l’emblème des femmes qui sont les premières victimes du temps, celles à qui l’on ne pardonne rien, ni un cheveu blanc, ni une ride. Coquette, elle ruse avec des artifices. Le rôle est écrasant car Beckett ne supporte pas l’imprécision, ni le moindre mot de travers. Parmi toutes les interprètes de Winnie, Madeleine Renaud et Denise Gence, comédiennes magistrales, sont inoubliables. Catherine Samie les rejoint aujourd’hui. Presque immobile comme dans un carcan, une camisole de force, coquette gracieuse luttant jusqu’au dernier mot, elle est magnifique et nous la saluons pour son talent et sa vraie modestie. Théâtre du Vieux Colombier 6e (01.44.39.87.00) jusqu’au 14 janvier.


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