LES NAUFRAGES DU FOL ESPOIR

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n° 319
du 6 décembre 2010


LES NAUFRAGÉS DU FOL ESPOIR d'après Hélène Cixous et Jules Verne. Mise en scène Ariane Mnouchkine.
Quand la mise en abyme atteint des sommets… Quand le théâtre rend un vibrant hommage au cinéma balbutiant… Tourne la manivelle, Gabrielle !
C'est l'ordre affectueux et impatient qu'intime en refrain Jean La Palette à sa sœur caméra-woman qu'aucune posture même périlleusement acrobatique ne rebute, pour fixer sur les rouleaux de sa drôle de machine les artifices de ses rêves.
Printemps 1914, remous politiques, assassinats princiers et bruits de bottes sont à la mesure des rugissements marins qui font tanguer le grand navire de carton pâte du Fol Espoir. La course contre la montre est engagée contre la folie des hommes, cette grande réductrice de têtes même les plus farcies d'utopies.
Et pourtant… le rêve se fera film, scandé par les alarmes tonitruantes qui veulent donner tort à l'aphorisme de Jean Jaurès « L'humanité n'existe pas encore, ou bien elle existe à peine ». Qui, hélas, lui donneront tort en même temps que la mort, en cet été 1914. Mais elles ne feront pas taire cet élan de bonheur qui nous soulève sans rupture au long cours de cette traversée, même si le navire coule parce qu'un industriel véreux y a investi ses désirs d'enrichissement accru, au mépris des amours de son frère et de sa Rachel cantatrice d'épouse. Même si les turpitudes coloniales de la cupidité ont contaminé l'innocence des derniers Indiens du Chili. Même si brigands et vautours sans scrupules hantent les parages. Tout est factice dans ces tempêtes et bourrasques qui ravagent l'australe banquise sur laquelle vient s'échouer ce navire de tous les espoirs. L'imagination bricoleuse n'a pas de limites. La neige tourbillonne au rythme des souffleries actionnées par les machinistes, le vent soulève les vagues de draps, les mouettes de papier et de plumes couinent et volettent autour des pauvres naufragés échoués sur l'île déserte des confins de la Patagonie. Tout le film est tourné « en studio » avec « effets spéciaux », dans cette guinguette que son patron, Monsieur Félix Courage le bien nommé, prête aux destinées hasardeuses du cinéma en herbe. Les acteurs ? pas de vedettes, mais le personnel de service et cuisine et les saltimbanques de passage recrutés pour l'occasion. Maestria inouïe de ces concocteurs de rêves dont aucune difficulté matérielle ne saurait arrêter l'élan collectif.
La trame narrative d'un mystérieux Jules Verne posthume foisonne comme celle des romans populaires qui ont enchanté nos enfances. Elle en a la verve illusionniste. Hélène Cixous et les Comédiens d'Ariane Mnouchkine, 13 femmes et 16 hommes, tous unis dans une même dynamique, lui donnent une saveur incomparable, verdoyante et tourbillonnante. Jean-Jacques Lemêtre, le magicien de la musique, est une fois encore à l'œuvre, mirifique homme-orchestre de tous les combats d'Ariane Mnouchkine.
Pas de coulisses, rien de cette émulsion théâtrale n'échappe au regard du spectateur émerveillé de tant d'ingéniosité et de mouvement virevoltant.
Pas de coulisses à notre bonheur de spectateurs, la joie est immédiate et sans réserves devant cette fantasmagorie. Nous avons gardé notre âme d'enfant, celle qui nous entraîne dans l'imaginaire de tous les possibles. Et, en l'espace de quelques heures de magie théâtrale, nous nous laissons emporter de rire en rêve, de guinguette parisienne en île du bout du monde, d'idéal politique en assassinat odieux. Merci, oui vraiment merci au Théâtre du Soleil de nous offrir, cette fois encore, dans un monde trop souvent blasé, la métaphore de nos enchantements et de nos espoirs. Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes 12e. A.D.


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