LA MERE

Article publié dans la Lettre n° 317 du 25 octobre 2010


LA MÈRE de Florian Zeller. Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo avec Catherine Hiegel, Clément Sibony, Jean-Yves Chatelais, Olivia Bonamy.
Partir c’est mourir un peu … pour ceux qui restent et voient les autres s’en aller. Eux-mêmes demeurent là, les mains vides, le cœur encore plein de l’amour dispensé, toujours présent mais désormais inutile. Anne meurt un peu plus chaque jour de l’envol de ses enfants, des absences ou départs d’un mari installé dans l’alibi confortable des heures de bureau ou des séminaires. « Je me suis fait avoir », dit-elle. Elle avait cru, à vingt-deux ans, que l’amour consacré par son union avec Pierre allait durer ce que durerait la présence douce de ses enfants au foyer, une vie entière. Mais ils ont quitté le nid l’un après l’autre. Elle n’a rien vu venir. Elle n’a pas su se préparer à l’irrémédiable départ. Sarah passe encore. Cette fille-là, elle ne l’a jamais aimée, elle la trouve « antipathique », mais Nicolas, son tout petit, « il fait comme si je n’existais plus ». Depuis qu’une femme le lui a ravi, les messages qu’elle lui adresse restent sans réponse, il l’a rayée de sa vie. La voleuse est coupable certes, mais le père de ses enfants l’est tout autant : « Tu as été un père misérable, un contre - exemple ». «C’est génétique, la lâcheté, c’est comme l’ingratitude ou la laideur, je n’aurais jamais dû faire des enfants avec toi ».
La cruauté des mots est la seule arme qui reste à Anne face au désespoir et à l’impuissance. Seule, désœuvrée, la souffrance causée par le silence de Nicolas est comme une idée fixe qu’elle noie dans l’alcool et les médicaments. Partir c’est mourir un peu…mais mourir, c’est partir beaucoup. Elle y pense, elle l’annonce comme un chantage, mais son esprit qui s’égare s’y résout.
Le syndrome du nid vide est vécu de façon inégale par les mères, tout comme le sont la maternité et l’amour qu’elles portent à leurs enfants. Florian Zeller explore celui d’Anne avec une maturité étonnante. Il le place dans des situations qui balancent entre réalité et irréalité. Les sentiments éprouvés par Anne sont intenses, à l’échelle de sa souffrance. Pour elle, «aimer trop, ça ne veut rien dire. On ne peut pas aimer trop. On aime ou on n’aime pas ». Sans doute a-t-elle aimé d’un amour qui étouffe et qui appelle à la fuite.
La mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo suit à l’état brut le refus de cet abandon exprimé par Anne entre réalité, rêves ou cauchemars, la vacuité du décor faisant écho à celle du foyer déserté. Seul le jeu des lumières anime la lente descente aux enfers de ce personnage tourmenté, incarné par Catherine Hiegel. Tout dans l’être de la comédienne frémit, s’exprime comme si elle faisait sienne la douleur de son personnage. Clément Sibony, Jean-Yves Chatelais, Olivia Bonamy l’accompagnent. Ce superbe travail d’équipe se fait lentement, difficilement, comme un accouchement vers une délivrance que l’on aurait souhaitée autre. Petit Théâtre de Paris 9e.

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