MEDEE

Article publié dans la Lettre n° 311


MÉDÉE d’Euripide. Mise en scène Farid Paya avec Antonia Bosco, Anne de Broca, Patrice Gallet, Xavier-Valéry Gauthier, Anne-Laure Poulain, David Weiss.
Médée est petite-fille du Soleil et tout chez elle est placé sous le signe de l’incandescence, celle de la passion pour Jason son époux et leurs deux enfants, celle de la haine désormais à l’encontre de cet époux adultère qui l’a trahie et de sa nouvelle fiancée royale. Elle qui, par amour, a aidé Jason à dérober la Toison d’Or, elle qui a permis leur fuite commune vers Corinthe, elle qui partage la souffrance de l’exil. Elle est pure violence et décision sans mesure, redoutable à l’aune de ses dons de magicienne. Mère à la fois tendre et fauve, elle préfère vouer sa progéniture à la mort plutôt que de la laisser en déshérence. Épouse bafouée, elle extermine la rivale et son père dans des souffrances atroces, pour condamner Jason à une irrémissible solitude. Dans sa démesure, elle se dresse face à tous ceux qui prônent la soumission, pour raisons diverses, royale et paternelle pour Créon, politique pour Jason, fataliste pour les esclaves. Seul Egée, roi d’Athènes, lui offrira une solution de repli, une fois le carnage accompli.
Euripide, le poète tragique du Ve siècle athénien, s’est fait, dans nombre de ses pièces, le chantre des femmes, dessinant la palette de leurs sentiments exacerbés face aux constantes violences qui leur sont faites, désarroi de la femme répudiée, terreur de l’exil, impuissance à protéger ses enfants de l’abandon. Ici, entre la vieille Nourrice effondrée et le Coryphée féminin qui commentent douloureusement l’horreur en marche, Médée se dresse dans la variété psychologique de ses choix déchirants, entre imprécation déchaînée et dissimulation stratégique, jusqu’à la triomphante vengeance.
Comment rendre la folie qui s’empare de Médée et dont les autres personnages ainsi que les spectateurs seront les témoins impuissants et, d’autant plus horrifiés, que cette montée vers la mort s’inscrit dans une inexorable logique ? D’abord humaine et déchirante sur ce plateau complètement dépouillé de tout décor où elle traîne sa souffrance entre murmures et cris, Médée rejoindra en apothéose sa figure ensorceleuse de progéniture d’Hélios. Anne de Broca campe remarquablement ce personnage tout en nuances diverses.
Les personnages masculins ne font pas vraiment le poids face à une telle incarnation de la force et ne peuvent que lui servir de faire-valoir. Créon, le roi qui exile, éructe son autorité mais meurt lamentablement des philtres de sa victime. Jason, l’époux qui trahit, suggère cyniquement la résignation mais s’effondrera dans ses sanglots de père. Même Egée, l’Ami qui offre l’asile, est un homme en proie aux affres de la stérilité.
La Nourrice et le Précepteur des enfants qui ne sont que suggérés par des gestes, s’alarment en contrepoint de la démesure.
Le Chœur, composé de trois figures féminines masquées, commente par ses évolutions rituelles le discours parlé et chanté de son Coryphée. Voix de la sagesse et de la mesure, mais aussi écho horrifié des meurtres relatés. Antonia Bosco et Anne-Laure Poulain leur prêtent leurs voix très modulées.
La mise en scène dépouillée et efficace de Farid Paya contribue à rendre d’autant plus poignante la beauté de ce texte sans âge qui fait de nous, antiques citoyens d’Athènes comme spectateurs contemporains, les témoins toujours concernés de l’ambiguïté humaine. Théâtre du Lierre 13e. A.D.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » il suffit de fermer cette fenêtre ou de la mettre en réduction