MAITRE PUNTILA ET SON VALET MATTI

Article publié dans la Lettre n° 349
du 21 janvier 2013


MAITRE PUNTILA ET SON VALET MATTI de Bertolt Brecht. Mise en scène Guy-Pierre Couleau avec Pierre-Alain Chapuis, Luc-Antoine Diquero, Sébastien Desjours, François Kergoulay, Nolwenn Korbell, Pauline Ribat, Rainer Sievert, Fanny Sintès, Serge Tranvouez, Jessica Vedel, Clémentine Verdier.
Atrabilaire, vindicatif, rapiat, méchant, injuste ? Comment imaginer qu’il s’agisse du même Puntila, joyeux pochard noyé dans l’aquavit, la main baladeuse et le serment facile, dégoulinant de sensiblerie et d’humanité proclamée ?
Après un prologue bilingue avec traduction simultanée gaillardement mimée, la scène s’ouvre sur les lueurs d’aube d’une mémorable beuverie, dont les derniers héros sont Puntila et son vieux compère le juge, et le serveur à bout de veilles... Paraît alors Matti le chauffeur, lucide, froid, guindé dans le rempart de ses expériences de valet au service de maîtres qu’il ne connaît que trop bien. Subtilité et fuites opportunes sont conviées pour louvoyer sans trop de heurts dans ce ballet cyclique auquel se livre le maître, entre gentillesse avinée et férocité de la sobriété. A Matti de prémunir les fiancées abusées de l’ivrogne, de protéger les valets parias, de jouer les séducteurs sans tact quand le mariage promis par Puntila à sa fille est un sordide maquignonnage avec une sauterelle d’ambassade, l’attaché criblé de dettes. Ah oui, Eva, pulpeuse, provocante, un brin hystérique, qui ferait tout pour échapper au père, au prétendant, quitte à se commettre presque sincèrement avec la valetaille. Mais on ne passe pas l’examen aussi aisément…
Après l’ultime beuverie, Matti s’échappe dans le chaos final de flacons explosés, d’amours contrariées, de servitude brisée. Note d’espérance bienvenue, qui nous rappelle avec Brecht que certains chiens préfèrent la précarité hasardeuse aux aléas douloureux de la chaîne et du collier que leur serre arbitrairement un maître cyclothymique. La Fontaine le disait déjà, non ?
Pierre-Alain Chapuis est matois, hilarant et odieux à souhait, en tyran domestique et ivrogne invétéré et parjure. Face à lui, ne pliant jamais l’échine servile, Luc-Antoine Diquero, au regard si limpide mais impénétrable, campe un Matti à la mesure de ce détestable despote, esquivant avec ruse les coups tout en l’accompagnant dans la mise en scène des rêves les plus rocambolesques. La troupe qui les entoure et conforte est à l’aune de l’excellente prestation de ce duo-duel, illuminé par la voix somptueuse de Nolwenn Korbell qui en scande les épisodes par les strophes de son chant de Maître Puntila.
On s’autorise parfois le préjugé d’un Brecht didactique et pesant. La contre-preuve en est ici offerte avec brio. Les trois heures sans entracte s’envolent sans fourmis ni mal de dos… et le « rideau » tombe sur des acteurs épuisés et aussi heureux que le public à juste titre enthousiaste. Théâtre des Quartiers d’Ivry 94. A.D.


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