LOS DEMONIOS

Article publié dans la Lettre n° 311


LOS DEMONIOS de Valérie Boronad. Mise en scène Philippe Boronad, avec Philippe Boronad, Moana Ferré, Luis Jaime-Cortez.
S’inventer des souvenirs est l’ultime façon de lutter contre la mort de ceux qu’on aime. Des souvenirs encore inconnus, parce qu’on fut trop tôt déserté par ce père tellement désiré, fantasmé, recréé, et dont la quête est la condition absolue de sa propre identité. Jusqu’à se couler en lui, dans un mimétisme salvateur. Luis, père résistant ? Père traître ou meurtrier par amour pour sa femme et leur fils ?
Ana la mère est l’éternelle amante de ce mari, au-delà de la disparition, de la mort probable mais jamais nommée. « Aucun homme ne se penchera plus à la fenêtre de mes yeux », dit-elle. Samuel le fils revient pour les derniers instants d’une mère qui ne le reconnaît plus et voit en lui son Luis bien aimé.
Heureusement il y a l’œil bienveillant du vieil Augusto qui l’a connu enfant, du temps où on le surnommait Tango, et chante en refrain, comme une lancinante mélopée, la douleur de l’arrachement « Cuando la muerte te llevó en sus brazos mi amor, creí que sucumbía… blanca como una paloma de la tarde ». Alors s’inaugure la geste paternelle dans l’écriture filiale. Samuel - Tango s’y engage comme dans une initiation onirique où se mêlent rêves, évocations, cauchemars. Il est son père Luis, il danse le tango avec sa mère Ana, il se love dans l’amour inouï de ses parents, dans l’amitié de Camilia, la compagne de son enfance désertée. Fantômes ou réalités ? Tous ces copeaux de lui-même trouveront leur cohérence dans une identité enfin acceptée.
Philippe Boronad, très convaincant, campe ce triple rôle du père, de l’enfant, de l’adulte, prêtant à chacun la similitude du timbre et la dissemblance de la tessiture. Ana-Moana Ferré est belle et troublante dans l’éternelle jeunesse de la mère, femme avant tout. Augusto, Luis Jaime-Cortez, module de sa voix souriante la permanence rassurante des souvenirs d’enfance.
Ils évoluent dans une mise en scène très dépouillée que scandent les projections vidéo sur deux grands paravents symétriques. Titres des chapitres qui s’élaborent, visages de l’horreur des bourreaux de l’Argentine, envols de colombes, ciels et fantasmagories du rêve. L’atmosphère est à la fois poétique et lourde de ce clair-obscur, comme un entre-deux de la conscience et de l’identité, où le spectateur prend physiquement conscience du désarroi de la disparition. Vingtième Théâtre 20e. A.D.


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