LES LOIS DE LA GRAVITÉ

Article publié dans la Lettre n° 379
du 2 mars 2015


LES LOIS DE LA GRAVITÉ de Jean Teulé. Adaptation Marc Brunet. Mise en scène Anne Bourgeois avec Dominique Pinon, Florence Loiret Caille, Pierre Forest.
Très tard le soir, une femme encore jeune fait irruption dans le commissariat d’une bourgade normande. Le bureau du lieutenant de police a vécu de meilleurs jours. Son occupant n’a qu’une idée en tête, terminer cette permanence et rentrer chez lui. À sa grande stupeur, cette dame, visiblement à bout, vient s’accuser du meurtre de son mari, qu’elle dit avoir poussé dans le vide alors qu’il était juché sur un congélateur remisé sur le balcon du 3e étage, faisant un énième chantage au suicide. Elle prie le lieutenant de police de prendre sa déposition et de l’arrêter.
Lucide, le lieutenant cherche à en savoir davantage sur les motifs qui poussent cette personne, à priori banale, à se livrer ainsi après avoir commis un crime parfait dix ans plus tôt. Elle lui brosse alors un tableau peu idyllique de sa vie conjugale qui lui vaut toutes les circonstances atténuantes possibles mais elle ne se laisse pas démonter par les arguments du lieutenant qui l’enjoint à faire demi-tour. Il ne l’a pas vue, et n’a rien entendu de sa déposition. La repentie n’en démord pas, elle veut payer sa dette. Il doit d’ailleurs enregistrer sa déposition avant minuit car son crime sera prescrit dans quelques heures. Le lieutenant s’évertue alors à la convaincre de réfléchir avant de commettre l’irréparable, sous l’œil mi interrogateur, mi protecteur du gardien de la paix en faction à l’accueil, préoccupé par les éclats de voix et le remue-ménage épisodiques provenant du bureau. Un mot en amène un autre. La femme se laisse aller à raconter sa vie, ses tournées de factrice sur les chemins de campagne qui lui procuraient un bonheur simple. Le lieutenant lui raconte des bribes de la sienne. Le hasard qui a fait de lui un policier, les crimes abominables dont il a été le premier témoin en tant qu’inspecteur. Tout en parlant de poésie, il exhume du tiroir du bureau une statue de Sainte Thérèse de Lisieux dont il fait un usage tout à fait particulier. Le gardien en faction va et vient, raconte lui aussi les aléas de son existence, la ferme familiale traversée par une ligne à haute tension qui tuait toutes les bêtes. Dans le cœur de ces personnages abîmés par la vie, percent une grandeur d’âme inattendue, celle d’êtres foncièrement bons, soucieux de vivre dignement.
Le texte de Jean Teulé est empreint d’une belle humanité et Anne Bourgeois n’a pas son pareil pour mettre en scène la bonté des personnages qui l’animent. À l’instar du lieutenant de police qui tente de la sauver malgré elle, l’on prend fait et cause pour la coupable qui ne cède à aucun argument et reste campée sur ses positions. Comme la maison de santé qui l’avait accueillie, la prison représente pour elle plus un refuge qu’un châtiment pour « quitter » le monde féroce dans lequel elle ne parvient plus à vivre.
Dominique Pinon est savoureux en lieutenant désabusé, ému par cette petite dame à bout de forces. Florence Loiret Caille est très juste dans cette opiniâtreté à convaincre du bien-fondé de sa requête. Pierre Forest met diablement bien son grain de sel dans cette confrontation mouvementée dont le dénouement ne laisse pas d’émouvoir. « Des gens bien » en quelque sorte. Théâtre Hébertot 17e.


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