LA LOCANDIERA

Article publié dans la Lettre n° 238


LA LOCANDIERA de Carlo Goldoni. Adaptation Paola Dussoubs. Mise en scène Alain Sachs avec Cristiana Reali, Pierre Cassignard, Alexandre Brasseur, José Paul, Sophie Bouilloux, Cerise, Gregory Gerreboo, Pierre-Olivier Mornas, Jean-Pierre Solves.
Personne ne peut le nier, l’auberge de Mirandolina ressemble au paradis. Pour les hommes surtout. Dès leur arrivée, tous tombent sous le charme de l’accorte et belle aubergiste. Le Marquis qui sait qui il est et sait ce qu’il vaut met son dévouement à ses pieds, à défaut de fortune, il est ruiné. Le Comte, au contraire, la couvre de bijoux, aussi ostensibles que ses revenus. Entre les deux hommes s’est installée une paix qui ne semble armée que par l’éducation et le respect qu’ils doivent à leur hôtesse, mais ils rongent leur frein! Fabrizio, le valet de l’auberge, regarde tout cela d’un mauvais oeil. Avant de mourir, le père de Mirandolina avait conseillé à sa fille unique de l’épouser et elle ne se décide pas. Amoureux et jaloux, tous les hommes qui tournent autour de sa belle le rendent fou. Mais Mirandolina sait ce qu’elle fait. Attirer le chaland par ses charmes, en tout bien tout honneur, lui permet de faire tourner son auberge. De plus, son état lui sied. Lucide, elle sait ce qu’il en coûte à une femme de perdre sa liberté en se mariant. Elle compte donc en profiter le plus longtemps possible. Mais voici qu’arrive le Chevalier. Misogyne, il fuit les femmes, engeance du diable, comme la peste. Il se rit tout d’abord du manège amoureux du Comte et du Marquis et traite de haut Mirandolina qui n’en peut mais. Pourquoi celui-ci lui résiste-t-il alors que les autres sont à ses pieds? Elle va s’employer à le séduire et lui faire endurer tous les tourments de l’enfer.
Après avoir rénové la Commedia dell’Arte, en Italie, Carlo Goldoni se fixe en France où il finira ses jours dans la misère, en 1793. Fin connaisseur des moeurs de son temps et surtout du caractère des hommes, ses pièces sont une parfaite illustration du monde qui l’entoure. S’il ridiculise les hommes, bons bourgeois, dans les Rustres, ou la Villégiature, s’il encense la femme et ses qualités dans la Serva amorosa ou la perspicacité et l’entregent des valets dans Arlequin, serviteur de deux maîtres, ses piques vont à une partie de la noblesse, celle prétentieuse et ridicule, uniquement préoccupée par son rang, sa fortune et ses prérogatives.
Alain Sachs tire un très joli parti de cette oeuvre délicieuse à la construction parfaite et au texte savoureux. Les situations, les intrigues et les rebondissements ont, sous sa houlette, un charme fou. Le superbe décor de Jacques Voizot ainsi que les costumes de Pascale Bordet jouent un rôle non négligeable dans cette réussite. Comment ne pas tomber sous le charme de la locandiera? Cristiana Reali lui prête diablement bien sa ravissante et talentueuse maturité. Pierre Cassignard, dont on avait admiré la prestation dans les Jumeaux vénitiens, est tout aussi formidable et José Paul, parfait en Marquis désargenté. Quant à Alexandre Brasseur, sa haute silhouette, sa présence, son charme et sa diction font de lui un Comte irrésistible. Chez Carlo Goldoni, point de petits rôles. Sophie Bouilloux et Cerise, Gregory Gerreboo et Pierre-Olivier Mornas et Jean-Pierre Solves sont loin de servir à faire valoir. Théâtre Antoine 10e.


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