LETTRES À ÉLISE

Article publié dans la Lettre n° 451
du 28 mars 2018


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LETTRES À ÉLISE de Jean-François Viot. Mise en scène Yves Beauchesne avec Lou Chauvain et Elie Triffault.
Un jeune homme feuillette distraitement un album de photos. S’en échappe le carnet jauni des lettres échangées entre Elise et Jean, ceux de l’album. Un vieil atlas recopié à la craie sur la paroi translucide du fond trace le parcours des belligérants.
1914, le poilu Jean Martin, instituteur auvergnat, quitte sa tendre épouse et ses si jeunes enfants. Les lettres échangées prolongent avec une simplicité souriante leur quotidien distendu. Des histoires de campagne, en somme, celle des labours au pays, celle des sinistres en filigrane et des orages à venir sur le front des combats. Jean dessine une fresque en expansion, les dates, les dessins de la délicieuse Camille, la petite Jeanne à naître, les problèmes de mathématiques appliquées pour Arthur. Elise, en contre-jour, raconte l’égoïste comtesse et son fils planqué de l’arrière, le maniement de la charrue, la charge pédagogique qui lui incombe désormais, la trivialité des soucis, l’angoisse des femmes. Jean partage avec elle en riant la vache du lieutenant, les chaussettes multicolores, les écharpes tricotées par l’amour des épouses délaissées. Les dates s’égrènent, le temps s’alourdit de souffrances, du deuil des veuves et des mères, des fusillés pour l’exemple, du supplice de la blessure, de la révolte contre l’absurdité, la censure, la mort des proches. Jean et Elise sont toujours aussi proches dans leur fidélité tenace, mais leurs récits s’éloignent, parce que la guerre bouleverse insidieusement les rôles, écarte les yeux et les corps. Viennent les retrouvailles avortées, la jalousie poignante, la rancœur de l’incompréhension. Le silence s’installe, que seules viennent perturber les voix porteuses de malheur.
La fresque en expansion témoigne de la mouvance des événements et des cœurs, la musique en scande les soubresauts.
1918, la vie s’échappe, l’ultime lettre déborde d’amour sur le grand tableau.
Loin des célébrations officielles du centenaire de la guerre, les broderies de l’histoire ordinaire sur l’absurdité de l’Histoire, dans cet enlacement de lettres de ses victimes au quotidien, sont un réquisitoire bouleversant contre la monstruosité des va-t-en-guerre, où qu’ils soient. Elie Triffault est remarquable d’intensité et de fantaisie, dans l’indignation comme dans l’évidence des évocations. En clair-obscur, Lou Chauveau incarne la patience têtue, une apparence sereine envers et contre toutes les douleurs de l’attente. Sans pathos, presque monocorde, d’autant plus émouvante.
La mise en scène des choses humaines, au sens propre, dans ce que l’artifice théâtral offre de si convaincant. A.D. Théâtre de l’Atalante 18e.


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