KINSHIP

Article publié dans la Lettre n° 375
du 8 décembre 2014


KINSHIP de Carey Perloff. Texte français de Séverine Magois. Mise en scène Dominique Borg avec Isabelle Adjani, Vittoria Scognamiglio, Niels Schneider, Blandine Laignel.
Elle a tout pour être heureuse et n’attend pas davantage de la vie. Journaliste en vogue, Elle est heureuse en ménage avec un homme adorable qui lui a donné deux fils. Elle rencontre régulièrement une amie de sa mère, devenue la sienne après le décès de celle-ci. Cette amie divorcée, ancienne actrice, a renoué avec son fils unique, revenu vivre dans le lieu de son enfance après la mort de son père et une longue absence. Elle et son amie se retrouvent irrégulièrement dans un café. L’amie lui raconte le retour de son fils, ses tentatives de ne pas trop jouer les mères envahissantes, se plaint un peu de ne pas la voir plus souvent et l’invite à une représentation théâtrale qu’Elle décline. A son bureau, Elle est devant sa table de travail lorsque le jeune apprenti journaliste, fraîchement engagé, se glisse à ses côtés et lui offre un gobelet de thé. Elle est surprise et lui dit sérieusement : « Attention, je serais capable de m’y habituer ». Le jeune homme est allé voir une pièce qui le hante depuis trois semaines, l’histoire « D’une reine grecque passionnée qui tombe si éperdument amoureuse… Qu’elle croit en mourir… Et le seul moyen pour elle d’étouffer sa passion, c’est de se tuer ». « Captivant... Mais terrible », ponctue le jeune homme, soutenant son regard. « Elle rougit ». Une semaine plus tard, il l’invite tard le soir à prendre un verre dans un endroit improbable…
L’américaine Carey Perloff ne se targue pas d’être une grande dramaturge. Elle explore simplement les différentes phases de ce qui peut arriver de plus beau dans une vie, l’apparition aussi soudaine que destructrice d’une passion qui ravage le cœur, dont la victime la plus célèbre est la Phèdre mythique qu’elle place ponctuellement en parallèle, puisqu’il s’agit là de la passion d’une femme mûre pour un tout jeune homme. Et c’est peut-être l’exposition sans fioritures de cet amour-là qui a touché Isabelle Adjani et l’a invitée à l’exprimer sur scène. La traduction restitue bien le passage très français du vous au tu, impossible en anglais, l’émoi de la prise de conscience d’une attirance coupable, le complexe de culpabilité éprouvé, l’angoisse de voir sa passion découverte, l’excitation de voir qu’il n’en est rien, l’aveu à l’amie, à la fois compréhensive mais choquée par cette idylle alors que la différence d’âge semble curieusement normale lorsqu’il s’agit d’une relation entre un homme beaucoup plus âgé et une très jeune femme. Il suffit de très peu de mots pour avouer cette passion dévastatrice qui occupe une place folle dans la tête au milieu des tracas quotidiens, des mots qu’il serait nécessaire d’extérioriser afin d’analyser plus froidement tant de sentiments contradictoires, l’étonnement, la culpabilité, le bonheur puis la douleur, proportionnelle à l’ivresse tout d’abord ressentie, lorsque la passion n’est pas partagée ou ne l’est plus que par l’un des deux.
Une scène moins vaste eut été plus propice à créer l’intimité qui naît entre les trois personnages, bien cernée par Dominique Borde, venue tardivement se substituer au metteur en scène initialement prévu, et qui s’appuie sur une scénographie originale. Si l’alchimie est parfaite entre Isabelle Adjani et Niels Schneider, elle l’est aussi entre eux et Vittoria Scognamiglio, amie et mère au centre de ce maelström. Le rôle est fait pour l’italienne, excellente en maman qui se refuse au rôle de mama, tout en l’étant malgré tout, amie compréhensive mais qui ne l’est plus du tout lorsqu’elle apprend l’inconcevable. Niels Schneider, très juste en amoureux tout à coup effrayé par cette femme dont il s’est épris mais qui est « trop » pour lui, trouve ici le rôle idéal d’un autre Roméo, cette fois dans toute sa maturité. Isabelle Adjani enfin, sur qui repose l’expression de cette passion qu’elle sait si bien interpréter au théâtre ou au cinéma, comédienne née, unique, qui n’hésite pas à prendre des risques pour imposer ses choix. Théâtre de Paris 9e. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici


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