JE VIENS D'UN PAYS DE NEIGE

Article publié dans la Lettre n° 258


JE VIENS D’UN PAYS DE NEIGE de Anne Jolivet. Mise en scène Didier Long avec Myriam Boyer.
C’est la veille de Noël, il fait un froid de loup. Maria sent le vent passer à travers les carreaux. Impatiente, elle déambule du fauteuil à bascule à la fenêtre; elle attend son amie Anna. Celle-ci est de retour, elle en est sûre. Elle va l’appeler ou passer la voir sans même prévenir et en finir enfin avec ces vingt-huit ans d’attente. Depuis toutes ces années, Maria attend qu’Anna traverse la rue comme autrefois et vienne passer Noël avec elle. Elles ont tant de choses à se dire, tant de questions à poser, tant de temps à rattraper. Elles se sont connues petites, lorsque les parents de Maria quittèrent la maison au traîneau dans le pays de neige qu’elle aimait tant, pour venir s’installer à Paris dans l’immeuble d’en face. Elles se sont aimées tout de suite, ont grandi ensemble, se sont confiés leurs secrets, menant la même vie malgré leur différence, l’une catholique, l’autre juive, jusqu’à ce que leurs chemins s’écartent tout d’un coup en 1942. Ce jour-là, Anna était passée en coup de vent, avait déposé une petite valise qu’elle n’est jamais revenue chercher, pour aller voir ses parents parce qu’elle était inquiète. Ce soir Maria a froid, un froid qui ne l’atteignait jamais puisqu’elle venait d’un pays de neige mais qui aujourd’hui se trouve à l’intérieur d’elle-même tout à côté de l’angoisse qui l’étreint à mesure qu’elle soliloque : et si, comme chaque année depuis vingt-huit ans, Anna ne venait pas ?
Anne Jolivet raconte une histoire aussi brève que tragique, celle de la disparition d’une jeune femme juive parmi des millions de ses congénères liés par un drame commun qui, à un moment précis de l’histoire, a précipité toute une génération dans le désespoir. Le passage du temps ne fait rien à l’affaire. L’absence perdure comme une amputation. Didier Long aborde le texte avec une grande sensibilité, aussi simplement qu’il est écrit, ne faisant qu’effleurer le contexte tragique pour s’attarder sur la vie même de Maria, celle d’avant simple et heureuse puis celle d’après, marquée par l’attente. Myriam Boyer s’approprie les mots. Elle le fait avec une formidable authenticité comme si elle-même avait vécu ce qu’elle nous livre, comptant l’enfance avec nostalgie, l’amitié avec entrain puis laissant transparaître le désarroi causé par la disparition, la peine immense du manque puis le complexe de culpabilité de celle dont les vingt ans n’avaient pas mesuré le danger, concluant dans un sanglot : « Je n’ai pas perdu ce combat, Anna,… Je ne l’ai pas mené »! Poignant mais nécessaire à la mémoire collective. Théâtre de l’œuvre 9e.


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