J’ÉTAIS DANS MA MAISON
ET J’ATTENDAIS QUE LA PLUIE VIENNE

Article publié dans la Lettre n° 448
du 14 février 2018


  Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici.

J’ÉTAIS DANS MA MAISON ET J’ATTENDAIS QUE LA PLUIE VIENNE de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène Chloé Dabert. Scénographie Pierre Nouvel avec Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker, Rebecca Marder.
Elles sont là dans la pièce principale, cinq femmes, mères et filles. Prostrées, elles ont le regard porté vers le premier étage et la porte close de la chambre où elles ont installé le jeune frère, la chambre où rien n’a bougé depuis qu’il l’a désertée. Soudain, la seconde sœur l’a vu apparaître au bout du chemin qu’il a gravi à pied. Et il s’est effondré sans un mot, inanimé sur le sol de l’entrée. Tant d’années à attendre, tout ce temps durant lequel elles sont restées cloîtrées dans l’attente du retour du jeune frère que le père avait chassé. De ces années perdues, toutes se souviennent des disputes et des hurlements entre le père et le fils. De ce départ et de l’attente, de celui qui, manifestement, les avait oubliées. Le temps s’était arrêté mais son retour improbable libère la parole. La mère est apaisée, l’aînée est pleine de regrets, la seconde joue entre la réalité de ce qu’elle a vécu et l’imagination de ce qu’elle croit avoir vécu. Les autres opinent, renchérissent ou rectifient. Elles disent les drames, échangent les souvenirs et commentent le retour. La plus jeune, tout d’abord en retrait, s’insurge. Elle était petite, elle n’a jamais compté dans la maison mais elle a vu, observé et compris malgré les cachotteries des aînées. Elle leur reproche de ne pas avoir su retenir le jeune frère, elle, plus jeune que lui, en était bien incapable. Les autres s’étonnent, la mère, surtout. Cette fuite, elle l’avait crue  provisoire, parce qu’il revenait toujours. La faute n’incomberait-elle pas plutôt au jeune frère qui ne s’est pas préoccupé d’elles, les laissant dans cette attente ? Qu’il vive ou qu’il meurt, le constat est là. Elles ont sacrifié leur vie à l’attendre et ne savent plus très bien ce que demain sera. Demain est là, pourtant, et les deux sœurs plus âgées rêvent encore d’un avenir.
La mise en scène, la scénographie et le décor estompé cisèlent le texte de cette longue et délicate « pavane ». Les phrases, réitérées pour la plupart dans le style récurrent et si particulier de Jean-Luc Lagarce, sont ponctuées, musicales, claires et poétiques. Les mots dissèquent minutieusement les impressions et les sentiments, approfondit les dires et trie le vrai du faux des souvenirs. Cette partition minutieuse autour du jeune frère perdu et retrouvé, est formidablement scandée par les cinq comédiennes. Elles vont et viennent, rient, pleurent, se disputent, s’accordent. Reste une interrogation. Est-il vraiment là, le jeune frère que l’on n’aperçoit jamais, ou est-il le fruit de leur imagination ? « Possible » écrivait l’auteur dans sa postface.
Il y a des accents tchekhoviens dans le déroulement de cette longue conversation sur l’absence et sur le retour qui induit la perspective du lendemain. « Il faut vivre » à présent. M-P.P. Comédie-Française-Théâtre du Vieux-Colombier 6e.


Pour vous abonner gratuitement à la Newsletter cliquez ici

Index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » utiliser la flèche « retour » de votre navigateur