ILIADE

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre391
du 18 janvier 2016


ILIADE d’après Homère. Mise en scène Pauline Bayle avec Florent Dorin, Alex Fondja, Jade Herbulot, Yan Tassin, Charlotte Van Bervesselès.
Ils sont là, les farouches adversaires de l’immémoriale geste homérique. Ils se déchirent devant le public pris à partie et traîné à leur suite jusque dans la rue du théâtre. Voici Achille, sombre et sourcilleux, la bave aux lèvres, qui invective Agamemnon dressé sur ses ergots de chef des Grecs venus en foule avec leurs bateaux, dont les noms se dévident en interminable catalogue. Des années qu’il dure, cet affrontement et le dernier prétexte en date, une querelle de butin, sera le bon, ou plutôt le mauvais, pour déclencher l’ultime ruée. C’est dit, Achille se retire sous sa tente pour bouder et les Grecs entament la longue descente dans l’enfer des revers multiples. C’est en ces termes qu’Homère narra, il y a presque trois mille ans, le siège de Troie par les Grecs et l’invraisemblable boucherie à laquelle se livrèrent ces frères ennemis, qui partageaient la même langue, les mêmes dieux, les mêmes femmes à l’occasion. Ah, Hélène adultère, Ménélas son époux humilié, son amant Pâris le bellâtre et sa lâcheté, Andromaque et sa fidélité au vaillant Hector, Hécube l’épouse de Priam, dont le bon sens ne suffira pas à calmer la fureur des héros échauffés par l’odeur du sang… Et les combattants des deux bords, épuisés mais jamais rassasiés, dont les noms s’égrènent au fil des massacres. Tendresse et violence se tissent dans la douleur, Achille supplie sa mère Téthys, sanglote sur le corps inanimé de Patrocle, crache ses insultes, érige sa fureur vengeresse. Diomède, Ajax brandissent les armes, les cris zèbrent l’espace. Ulysse négocie, Hector résiste aux lamentations. L’univers dégoutte de sang.
En miroir inversé du monde tragique des hommes, celui des dieux est trivial et truculent, les époux royaux Zeus et Héra se font des scènes de vaudeville, se rabibochent bruyamment, tandis qu’Aphrodite emperruquée de filasse platine et Poséïdon, pleutre et malléable, subissent les foudres du roi des dieux et la rouerie jalouse de son épouse.
La parole lyrique d’Homère file et s’entrelace dans la voix fluide des chœurs alternés. Le clair obscur est vrillé d’éclairs, l’intimité des couples en pleurs succède à la brutalité insoutenable des récits de tuerie. Mêlées homériques, oui, et le vrai défi de les mettre en scène dans leur foisonnement même. Sauf à faire le choix inventif du dépouillement scénique et de quelques accessoires qu’une noria particulièrement expressive de rôles rendra saisissants. Noir et blancs, hommes et femmes, hommes et dieux, héros et chœur, cinq acteurs pleins de fougue et habités par leurs rôles suffiront avec bonheur à en rendre la palette si diverse. Le sang macule les mains dressées, l’argent et l’or des paillettes arment les héros sur le chemin de leur martyre.
Achille, omniprésent en fond de plateau, réitère ses refus boudeurs, jusqu’à l’heure de la vengeance quand Patrocle est tombé sous les coups d’Hector. Alors Achille ira affronter les vagues déchaînées du Scamandre, dans une scène éblouissante de réalisme d’eaux jetées à sa face. Alors Achille et Hector, au centre du grand cercle, s’affronteront enfin, ivres d’une mort certaine, barbouillés de sang. Alors Priam viendra implorer Achille enfin apaisé de lui rendre le cadavre toujours au centre.
Et l’obscurité tombe, car Homère dès lors se tait et laisse en filigrane la fin du héros et Troie saccagée.
Le mythe est intemporel et si présent, et le théâtre le donne vraiment à voir. Difficile de s’ébrouer au sortir de ces points de suspension… Difficile de se passer d’une telle émotion. A.D. Théâtre de Belleville 11e.

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