L'HABILLEUR

Article publié dans la Lettre n° 297


L’HABILLEUR de Ronald Harwood. Texte français Dominique Hollier. Scénographie Ludovic Hallard. Mise en scène Laurent Terzieff avec Laurent Terzieff, Claude Aufaure, Michèle Simonnet, Nicolle Vassel, Philippe Laudenbach, Jacques Marchand, Émilie Chevrillon.
Londres 1942. Tous les hommes jeunes, acteurs inclus, sont partis pour le front. L’ Allemagne nazie bombarde systématiquement la capitale. Dans cette ambiance de fin du monde et entre deux alertes, une troupe de province joue chaque soir des pièces de Shakespeare, dirigée par un chef de troupe aguerri par des années de tournées et qui endosse à chaque représentation le rôle titre de la pièce donnée. Dans la loge du théâtre qui ressemble à n’importe quelle loge de théâtre poussiéreux et croulant, Norman, l’habilleur du chef de troupe, est dans tous ses états. Le Maître, à bout de nerfs, vient de craquer. Son esprit s’égare, mélange ses rôles, ne sait plus les premières répliques du roi Lear qu’il va jouer dans une heure. Madge, la régisseuse, veut annuler mais Norman résiste. Depuis 16 ans au service du chef, il en connaît tous les rouages et il se sait capable de remettre une fois encore sa machine en route. Il va donc se démener pour l’apaiser, le raisonner, l’aider à se maquiller, se vêtir puis l’amener à faire son entrée sur scène pour assurer une fois encore la représentation. Patiemment, il oeuvre contre l’avis de Lady M, compagne du Maître et de Madge, tandis que les autres comédiens attendent, observent et tentent pour certains de profiter de la situation.
Ronald Harwood fut durant des années l’habilleur puis l’administrateur de Sir Donald Wolfit, acteur chef de troupe et l’un des ultimes représentants d’une tradition du théâtre britannique remontant au XVIIIe siècle. Il totalisait toutes les qualités des grands comédiens capables de jouer n’importe quel registre et tous les défauts d’un chef de troupe qui, finançant lui-même ses spectacles, était d’une avarice sordide. Pour dépenser le moins possible, Wolfit choisissait comme habilleur un membre de la troupe et c’est ainsi que Ronald Harwood entra dans sa vie. Celui-ci raconte comment, malgré la guerre, on continue de jouer ou de se rendre au théâtre et décrit de façon superbe la beauté dérisoire de cette soirée durant laquelle tous sont suspendus aux gestes et aux lèvres du Maître sur lequel tout repose. Il rend hommage à ce qu’était cette vie de troupe, à ces comédiens prisonniers d’une éternelle errance et de la passion d’un art qui les habitait, victimes consentantes de la précarité, jouant un soir sans savoir de quoi serait fait le lendemain.
En choisissant la remarquable adaptation de Dominique Hollier, Laurent Terzieff pose un regard perspicace, fin et intellligent sur l’œuvre et sur l’effet de miroir entre la pièce elle-même et la représentation de Lear qui doit se jouer. On reconnaît bien là son goût de la perfection, tant dans sa mise en scène d’une précision d’horloge que dans son interprétation du Maître, accroché aux planches jusqu’à son dernier souffle. Il exprime avec virtuosité les angoisses, les désillusions mais aussi le cabotinage, la cruauté et le mépris qui habitent son personnage. Sa présence et sa distinction légendaires subjuguent une fois encore. Claude Aufaure, son complice de toujours, est un époustouflant Norman qui, après avoir essuyé peines et humiliations, se retrouve les mains vides avec l’ingratitude pour seule compagne. Philippe Laudenbach, au talent tant de fois relevé, est remarquable en comédien aigri, tout comme Nicolle Vassel, Lady M. compagne du maître, Michèle Simonnet, Madge dont l’enveloppe d’airain révèlera sa fêlure, Jacques Marchand, Thorton très convaincant, et Émilie Chevrillon, fine Irène, prête à tout pour réussir. La scénographie, très ingénieuse, fait le reste. Théâtre dans le théâtre, la représentation du Roi Lear, portée à bout de bras par comédiens, régisseuse et habilleur, s’improvisant machinistes et bruiteurs, rend parfaitement compte des affres que vit une troupe. Cette mise en abîme restera longtemps dans toutes les mémoires. Théâtre Rive Gauche 14e.


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