LE GARDIEN

Article publié dans la Lettre n° 261


LE GARDIEN de Harold Pinter. Mise en scène Didier Long avec Robert Hirsch, Samuel Labarthe, Cyrille Thouvenin.
Il règne dans la pièce un capharnaüm impressionnant, un bric-à-brac hétéroclite de vieux bibelots et de piles de journaux, un lit défoncé et un autre, croulant sous un amoncellement d’objets. Suspendu au plafond, un seau est sensé recueillir l’eau du toit lorsqu’il pleut. Ce décor, judicieusement désordonné, pourrait être le reflet de la personnalité de ceux qui l’habitent. Assis sur le lit dans l’obscurité, silhouette élancée et agile, Mick fume une cigarette. Un bruit de pas sur le palier le fait fuir par l’une des portes. Survient alors un grand type brun dont la corpulence contraste avec celle de Mick mais aussi de celui qui l’accompagne. Ce dernier, pas bien grand et âgé, a tout du clochard. Quelques bribes de conversation permettent de comprendre que le grand costaud vient de tirer le petit vieux d’un mauvais pas. Celui-ci le remercie d’ailleurs avec reconnaissance, surtout lorsque Aston, le grand brun, propose à Davies, le clochard, de rester là cette nuit en attendant mieux. Il a tôt fait de débarrasser le second lit des vieilleries qui l’encombrent. D’autres nuits vont alors se succéder, d’autres journées aussi, durant lesquelles Davies prend ses marques, s’installe puis impose sa présence avec de plus en plus de sans-gêne. Aston se montre attentif et plutôt solidaire. Mick, agressif lors de leur première rencontre, finit par tolérer la présence de Davies. Il se dit propriétaire des lieux, à charge pour son frère de les rénover. Mick et Aston ne se rencontrent guère. Ils se croisent, parlant avec Davies qui, lui, ne sort pas. Tour à tour, l'un et l'autre lui suggèrent de devenir le gardien des lieux. Surpris par cette double proposition, Davies accepte, devient chaque jour plus exigeant. Il tente d’empiéter sur le territoire des deux frères, de les monter l’un contre l’autre, mais à la moindre critique, il est rabroué. Aston raconte les bribes d'un passé, la présence d’une mère qui n’est plus, l’ombre plus angoissante d’un hôpital psychiatrique. Davies ne parvient pas à cerner leurs véritables rapports. Sont-ils frères comme ils le prétendent, ont-ils seulement besoin d’un gardien et ce lieu est-il vraiment le leur ? Une mésentente existe-t-elle entre eux? Ne s’exercent-ils pas plutôt à un jeu, celui d’une machination perverse ? Où se situent la vérité et le mensonge dans ce quotidien cruel ?
Harold Pinter n’apporte pas de réponses à toutes ces questions. Il crée seulement autour de ses personnages des situations floues et des relations assez insolites pour empêcher de se faire une idée ou de porter un jugement sur chacun d’eux. Mais n’en est-il pas de même dans la vie où l’idée que nous nous faisons des autres empêche toute clairvoyance à leur égard ? La construction et l’écriture de sa pièce sont en tout cas une excellente démonstration de cette interrogation et Didier long en tire un très bon parti dans sa mise en scène. Robert Hirsch exprime avec naturel l’agressivité et le sans-gêne de son personnage, il en laisse aussi très finement soupçonner les peurs et les faiblesses. Il est remarquable. Cyrille Thouvenin ne l’est pas moins dans le rôle équivoque et trouble de Mick. Quant à Samuel Labarthe, sa présence et la qualité de son jeu restituent avec un art consommé toute la palette des émotions d’un homme malmené par la vie. Admiratif, le spectateur reste sous le charme. Théâtre de l’Oeuvre 9e.


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