FROZEN

Article publié dans la Lettre n° 238


FROZEN de Bryony Lavery. Mise en scène Lesley Chatterly avec Corinne Jaber, Lesley Chatterly, Eric Prigent, Xavier Fourgeau.
To freeze, froze, frozen. Gelée, glacée à tous les temps, à tous les verbes de la vie. Une journée ordinaire dont on refait pas à pas, geste à geste, telle une Pénélope du souvenir, pour retrouver la maille perdue, l’accroc qui fait s’effilocher le tissage. Nancy se remémore inlassablement cette journée fatidique de ce dernier jour où elle a vu sa fille de dix ans, Rhona, partir pour une promenade sans retour. Nancy refuse le pire. Elle s’est réfugiée dans l’attente. Elle en oublie le reste de la famille. Nancy a tellement froid en dedans. Agnetha est une universitaire américaine, une psychiatre réputée. Elle vient pour des conférences. Elle rencontre Ralph, un tueur en série. Agnetha, Ralph et Nancy vont être confrontés à une terrible vérité et à eux-mêmes.
Bryony Lavery est anglaise. Malgré une oeuvre abondante, elle est pratiquement inconnue en France. Frozen est une pièce importante, elle expose sans complaisance trois destins parallèles. L’écriture précise, drôle parfois, aime faire douter le spectateur. Qu’il doute ! Au début, celui-ci se demande ce qui réunit ces trois personnages qui soliloquent. Et la glace fond. Lavery aborde la douleur intime de ce chagrin qui n’a pas de paix tant qu’il n’a pas trouvé son nom. La pièce n’est pas une pièce sur la pédophilie mais sur le manque. Les trois protagonistes tournent autour du meurtre. L’un l’a commis, l’autre l’étudie et la troisième le subit. Tous les trois ont perdu une partie d’eux-mêmes, leur innocence a été brisée. Lesley Chatterly a mis en scène cette pièce belle et complexe avec beaucoup de talent, donnant de la rapidité à certains passages, sachant s’arrêter sans alourdir les moments forts. Elle interprète Nancy, la mère. Elle est tellement dans le ton, dans le refus de la mort, cette ménagère meurtrie, qui est une philosophe de la pince à linge. Agnetha est interprétée par Corinne Jaber qui est une merveille de comédienne. Elle est tellement impliquée sur le plateau, tellement dans l’intime de ses personnages, que tous les gestes, ses intonations, insufflent à son personnage la crédibilité vitale. Eric Prigent est Ralph, le tueur, monstre infantile. Le rôle est difficile, il le joue sans pathos, sans excès. L’un des grands thèmes de cette pièce dense est le pardon, difficile de ne pas s’impliquer, de ne pas réfléchir sur soi-même. Le théâtre de Bryony Lavery fait son entrée en France grâce au travail de Lesley Chatterly, l’auteur a trouvé en cette femme sa meilleure ambassadrice. Théâtre du Marais 3e. Jusqu’au 6 mars 2005.


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