LE FOU D'OMAR

Article publié dans la Lettre n° 286


LE FOU D’OMAR d’après le roman de Abla Farhoud. Adaptation et mise en scène Nabil El Azan avec Baptiste Kubich, Eric Robidoux, Gabriel Yammine.
Un appartement où le livre est roi, sur les étagères des photos, des souvenirs. Un homme à terre souffre, soliloque dans une langue où se bousculent le français, l’anglais, l’arabe. Il souffre de tout son être. Il souffre de tous ses esprits. Son père Omar vient de mourir. Le poète Omar est parti. Lui, Radwan le fils aîné, est seul, désespéré. Il devrait conduire le deuil, accomplir les gestes et dire les paroles rituelles. Mais il ne peut pas. Impuissant, désespéré par sa folie. Depuis qu’ils ont fui le Liban pour venir s’installer à Montréal, la famille d’Omar n’a pas arrêté de se disloquer. Les femmes sont mortes. Rawi, le deuxième fils, est parti. Omar s’est occupé de son fils schizophrène. Entre deux crises, Radwan appelle les ombres du passé, il appelle ses morts, ses souvenirs d’une vie qui n’existe plus. Radwan essaie de refaire le grand puzzle de sa vie et de son esprit disloqués. Il voudrait appeler son frère. Mais il ne peut pas, ne veut pas. Rawi, de l’autre côté de l’océan, en France est devenu Pierre Luc Duranceau, écrivain blond à succès. « PLD » a refait sa vie ou plus exactement il a « fait » sa vie, abandonnant le Liban, sa langue, sa culture, sa religion. Physiquement, il s’est fait un look de français, il s’est inventé une famille, des souvenirs. Parfois ses vrais souvenirs le submergent comme une lame de fond frappant férocement sur la digue de ses défenses. Non, il n’est pas libanais, non il n’est pas musulman, non il n’a pas de frère. Oui, il a du succès, un succès usurpé car intimement il le sait, c’est son frère qui a du talent. PDL devant son ordinateur tout blanc est en panne d’inspiration. Intimement, profondément, il sait que ce frère qu’il a banni de sa mémoire, a besoin de lui. Mais Pierre Luc est fils unique. Nuit de folie, de crise, de désespoir, de pleurs trop longtemps contenus sur la perte d’un pays, orphelin de ses enfants et d’espoir. Radwan, le fou d’Omar, entonnera-t-il le chant de mort du poète ?
Spectacle coup de poing, spectacle coup de cœur qui met K.O. un public médusé. Nabil El Azan est libanais francophone. Il vit depuis trente ans en France, nouant des liens intimes entre ses deux pays. Le roman de Abla Farhoud est un choc. Dès les premières lignes de l’adaptation, Nabil El Azan sait qu’il faut faire une distribution à trois voix, trois langues. Française pour Rawi (Baptiste Kubich), québécoise pour Radwan (Eric Robichoux) et libanaise pour Omar (Gabriel Yammine). Gabriel Yammine est très connu au Liban, il est le prof théâtre de la Star Academy ! Baptiste Kubich tient avec une rage contenue le rôle ingrat de Rawi le traître à lui-même. Eric Robidoux est une révélation. Sa scène de danse de St Gui, son délire paranoïde, en pleine crise schizophrène gêne, bouleverse et interpelle le public impuissant. Son jeu hallucinant, précis, fiévreux, empreint d’une poésie rocailleuse nous laisse K.O. Nabil El Azan offre un spectacle intense et bouleversant, d’une rare intensité. L’Atalante 18e.


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