FILUMENA MARTURANO

Article publié dans la Lettre n° 253


FILUMENA MARTURANO de Eduardo De Filippo. Traduction Fabrice Melquiot, mise en sène Gloria Paris avec Pierre Ascaride, Marie Ballet, Bruno Fleury, Christine Gagnieux, Kamel Isker, Evelyne Istria, Sabrina Kouroughli, Alain Libolt, Cécile Pericone, Daniel Tarrare, Thibault Vinçon.
La première scène est éblouissante. Eduardo de Filippo l’a voulue ainsi parce que disait-t-il: «Je n’avais jamais lu une pièce qui commence par la scène-mère, qui se poursuit en tenant ses promesses et qui a comme protagoniste une femme». Ce choix, il le fit après une réflexion de sa sœur, jugeant son théâtre trop patriarcal, et qui trouva en Filumena son plus beau rôle. Et quel rôle! Christine Gagnieux le tient magnifiquement. Filumena, ancienne prostituée, est la concubine de Domenico depuis vingt-cinq ans. Celui-ci fulmine. Alain Libolt lui prête son grand talent mais une voix pas toujours audible. Il est hors de lui car la garce vient de lui jouer un tour pendable. Feignant l’agonie, elle a demandé à être unie par les liens du mariage avant de mourir. A peine bénie par le prêtre, la voici qui renaît sans vergogne et dans quelle forme! Après toutes ces années où elle a joué les esclaves de Domenico, celui-ci n’attendait que son dernier souffle pour installer dans son lit, à sa place, Diana, une jeunette de vingt-deux ans qu’il a fait passer pour une infirmière. C’est raté! Fou de rage, et après quelques envies de meurtre, il décide d’annuler ce mariage. Mais en imposant cette union, Filumena avait une bonne raison. Lorsqu’elle pratiquait le plus vieux métier du monde, les hommes de passage dont Domenico, lui ont donné trois fils. Elle les a gardés et les a fait élever sans leur avouer qu’elle était leur mère, les regardant grandir, volant l’argent de Domenico pour qu’ils ne manquent de rien.Tous trois établis aujourd’hui, elle voudrait qu’ils portent le nom d’un père, celui de l'homme qu’elle a servi.
La suite tient ses promesses. La mise en scène follement inventive de Gloria Paris y veille. Tout tourne autour des conséquences de la première scène. Puis, en apprenant qu’il est père, quelle sera la réaction de Domenico? Dix mois de réflexion durant lesquels il va devoir se remettre en cause et changer car ce fils il y tient, même si Filumena refuse de lui dire lequel des trois est le sien.
Eduardo de Filippo traite à grands traits des rapports homme femme et brosse un tableau édifiant de la vie en Italie à son époque. La condition féminine, ébauchée à travers la jeunesse de Filumena, il la décrit aussi lorsque Rosalia, la domestique, remémore sa propre vie. Cette existence à la Zola, Evelyne Istria la raconte avec une formidable sobriété, mais une émotion palpable envahit le public sous le charme. La mise en scène dynamique est truffée de jeux de scène. Transformations astucieuses et drôles du décor, opérées par Sabrina Kouroughli, petite servante absolument impayable, Pierre Ascaride lui prêtant main forte à la fin, lui-même excellent en domestique. Jeux de scène hilarants des trois fils, dissemblables bien sûr, véritables frères Dalton face à cette mama dont ils font enfin la connaissance et qui se heurtent à leur première rencontre, car ils ne savent pas encore le lien qui les unit: «Vous vous foutez de la gueule de ce pauvre type», «tu sais que tu commences à me peser»! Eh oui! la traduction est tout un art. Fabrice Melquiot s’en donne à cœur joie: «même pas en rêve» jette Diana, furieuse lorsque Filumena lui demande si elle a peur! Et c’est l’hilarité générale, car cette modernité tombe à merveille. Le rêve, on est en plein dedans. Tous dans un même élan nous emportent avec un talent fou jusqu’à l’épilogue. On persiste et signe: éblouissant! Athénée Théâtre Louis-Jouvet 9e (01.53.05.19.19) jusqu’au 1er avril.


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