LES FANTÔMES DE LA RUE PAPILLON

Article publié dans la Lettre n° 421
du 3 avril 2017


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LES FANTÔMES DE LA RUE PAPILLON de Dominique Coubes. Mise en scène de l’auteur avec Michel Jonasz, Samy Seghir et la participation amicale de Judith Magre.
12 janvier 2017. Un contrôle de police tourne mal et Haïssa se retrouve assis sur un banc à côté de Joseph. Le jeune « rebeu » se refuse à admettre qu’il vient d’être tué et que l’homme de confession juive qui l’accueille est mort lui aussi. Comment croire ce qu’il lui raconte ? Une étoile jaune encore cousue à sa veste, l’homme, à l’état de fantôme, dit être sur ce trottoir depuis le 16 juillet 1942, témoin invisible et sourd face à la vie qui s’écoule devant lui. Ce matin-là, tous les juifs du quartier ont été arrêtés. Pendant que sa femme préparait les enfants, Joseph est subrepticement descendu dans son atelier de luthier pour prendre un stradivarius. En sortant, il a vu sa femme et deux de ses enfants disparaître dans un bus, tandis qu’un policier et Huguette, la concierge de son immeuble, éloignaient discrètement Lilas, sa petite dernière. Il a entendu deux coups de feu, s’est retrouvé couché sur le sol, puis plus rien. Depuis, coincé là entre une porte close et une ouverture inquiétante qui semble mener au Créateur, il attend d’improbables nouvelles des siens. Il se demande où ces bus de l’État les ont conduits et ce qu’ils sont devenus. Il finit par convaincre Haïssa qu’il est bien mort, fantôme errant trop jeune pour avoir eu le temps de faire l’apprentissage de la vie. Entre le juif et le jeune arabe que tout sépare, une amitié naît peu à peu. Ils s’amusent de leurs différences et observent le va-et-vient quotidien de la rue Papillon. Joseph est ébaubi par l’évolution de la société et les nouvelles découvertes que le jeune « rebeu » lui commente avec des mots inconnus et forces détails arrangés à sa façon. Haïssa élude autant que possible les questions pressantes sur ce qui s’est véritablement passé le 16 juillet 1942. Il sait bien ce qu’il est advenu ce jour maudit de la fameuse rafle, mais ne peut se résoudre à révéler à Joseph son immonde issue, celle où ont sombré les siens, celle des six millions de morts de la Shoa. Puis tous les deux réalisent que la porte peut s’ouvrir et donner accès à la rue et aux appartements de leur immeuble pourtant bien fermés. Haïssa se fait passe-muraille et revient avec des objets qui vont sidérer puis émouvoir Joseph. Ils lui dévoilent l’Histoire et la vérité qu’Haïssa voulait tant lui cacher mais ils lui offrent aussi l’opportunité d’une merveilleuse « rencontre »…
Entre rire et émotion, sans mièvrerie ni sensiblerie, Dominique Coubes mène tambour battant ce récit poignant et restitue bien davantage que soixante-dix ans de guerres, d’exils, et de migrations. La vidéo projette quelques moments effroyables de la solution finale et un bref mais émouvant commentaire de Judith Magre, tandis que, donnant une formidable consistance à leur personnage, Michel Jonasz et Samy Seghir remplissent l’espace seulement occupé par un banc et un réverbère.
Le juif et l’arabe, devenus frères d’infortune, représentent ces deux mondes qui s’opposent depuis la nuit des temps et continuent de se nuire, accomplissant inlassablement les mêmes erreurs, faute de vouloir trouver une issue à un conflit qui engendre racisme et extrémisme. Dominique Coubes nous offre là une vraie pépite, source d’une profonde réflexion. M-P P. Théâtre du Gymnase Marie Belle 10e.


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