LES ESTIVANTS

Article publié dans la Lettre n° 380
du 22 mars 2015


LES ESTIVANTS d’après Maxime Gorki. Version scénique Peter Stein et Botho Strauss. Version française Michel Dubois et Claude Yersin. Mise en scène Gérard Desarthe avec Martine Chevallier, Michel Favory, Thierry Hancisse, Anne Kessler, Sylvia Bergé, Bruno Raffaelli, Christian Blanc, Alexandre Pavloff, Céline Samie, Clotilde de Bayser, Loïc Corbery, Hervé Pierre, Samuel Labarthe, Pierre Hancisse, Jacques Connort.
En ce début du XXe siècle, dès les premiers beaux jours, les citadins aisés partent pour la campagne. Ingénieurs, entrepreneurs ou médecins, ils se reçoivent, devisent, discutent et se disputent sous l’œil critique des deux gardiens qui, fusils à l’épaule, les regardent tuer le temps. Bassov, l’avocat, est le seul affairé, secondé par Zamyslov, son adjoint. Il passe ces quelques mois avec Warwara sa femme et sa sœur Calérie, petit être perdu dans les arts de la peinture, de la musique et de la poésie, ne perdant jamais de vue sa poupée de chiffon. Doublepoint, l’entrepreneur, très riche, a successivement vécu avec trois femmes. Aujourd’hui seul, il déprime, ne sait que faire de son argent. Souslov, l’ingénieur, visite d’un œil distrait ses chantiers. Sa vie conjugale est un désastre. Doudakov, le médecin, se plaint de ne pas avoir de clientèle privée. Sa vie est plus dure que ses confrères favorisés, il n’en peut plus. Olga, sa femme, s’épuise à élever une ribambelle d’enfants. Chalimov, l’écrivain, s’est joint à eux, auréolé d’une gloire dont la lumière décroît peu à peu. Il savait autrefois qui étaient ses lecteurs, ce qu’ils aimaient chez lui. Aujourd’hui, il ne sait plus qui ils sont et surtout ce qu’ils recherchent dans leurs lectures. Maria Lwovna, trouble-fête dans ce monde misogyne, est doctoresse. Elle représente la réussite des femmes et leur place plus égalitaire dans la société russe puisqu’elles ont accès à l’université et à des métiers jusqu’à présent réservés aux hommes. Cette indépendance, ceux-ci la reçoivent comme une insulte. Eux qui passent leur vie à se plaindre au lieu d’agir, ils vomissent leur misogynie à leur encontre. Mais elles ont le dernier mot. Le sursaut de dignité de Warwara surprend tout le monde. Elle sent qu’elle ne peut plus rester là sans rien faire. Encouragée par Maria Lwovna, elle convainc Doublepoint du bien fondé d’ouvrir des écoles et de mettre son argent au service des autres. Elles partent, emmenant Calérie qui abandonne sa poupée derrière elle comme ses rêves, pour entrer de plain-pied dans la réalité.
La campagne russe est le même cadre que celui dans lequel Anton Tchekhov plante ses personnages mais ceux de Maxime Gorki sont différents. Ces estivants sont des citadins, tous issus d’une classe sociale pauvre, qui ont réussi à la force du poignet. L’auteur brosse un portrait très critique de ces hommes parvenus non sans mal à un statut social aisé mais qui, paradoxalement, sont atteint du même mal de vivre que la bonne société de l’époque. Le décor, une forêt de bouleaux dont les troncs sont, comme le rideau de scène, entièrement recouverts de visages figés, est le parfait reflet d’un lieu où déambulent tels des aveugles des personnages désabusés aux costumes d’un autre âge. Les quinze comédiens occupent tous en grande partie la scène grâce à des rôles équilibrés aux dialogues très denses. Écrite en 1904, la pièce est un état des lieux annonciateur de la terrible tempête qui approche et va tout balayer sur son passage, une chronique réaliste d’une révolution annoncée. Comédie Française 1er.


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