LES CRÉANCIERS

Article publié dans la Lettre n° 327
du 23 mai 2011


LES CRÉANCIERS d’August Strindberg. Mise en scène Christian Schiaretti avec Christophe Maltot, Clara Simpson, Wladimir Yordanoff.
Le rouge flambe dans la noirceur ambiante. Rouge de l’ottomane où se répandent ou se réfugient les corps, rouge du fauteuil où se love insidieusement le fauteur de doute, rouge éblouissant de la robe féminine. Au centre de ce flamboiement, le trio presque habituel, la femme, le précédent mari, l’amant actuel. Adolf, jeune amant au physique falot, au talent artistique ébranlé par les doutes, y accueille Gustaf, trop amical pour ne pas être pervers, qui ensemence graine après graine le terreau névrotique de celui qu’on devine peu à peu être le rival qui l’a évincé dans le cœur et la vie de Tekla. Sous des dehors de vieux professeur sage et prévenant, Gustaf va enfoncer méthodiquement le fragile Adolf dans une hystérie épileptique et mortelle. Arrive enfin Tekla, belle et sans doute infidèle, certes amoureuse, mais qui a tant besoin de se rassurer sur sa beauté que l’âge défraîchit, par le pouvoir amoureusement maternel qu’elle exerce. Adolf ne résistera pas à cette machination du doute instillé. Et, au moment où l’on croirait presque aux retrouvailles émues du vieux couple, la présence en témoin caché d’Adolf, écorché de lucidité, fait mesurer l’ampleur d’une vengeance sans appel. Noir de l’ombre mortelle, rouge du sang et de la douleur. L’ultime parole de Strindberg reste au sourire désabusé de l’orgueil blessé, à la patience sardonique de la vengeance. Pris dans les rêts de ce désespoir absolu, nous assistons fascinés et éblouis à une mise à mort, à laquelle Christophe Maltot, Clara Simpson et Wladimir Yordanoff donnent admirablement chair, dans une asphyxie contrastée de rires et de frissons morbides. Théâtre de La Colline 20e. A.D.


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