LE CORBEAU ET LE POUVOIR

Article publié dans la Lettre n° 357
du 23 septembre 2013


LE CORBEAU ET LE POUVOIR. Texte de Jacques Forgeas. Mise en scène Sébastien Graal et Sophie Gubri. Avec Clovis Fouin, Baptiste Caillaud, Pierre-Marie Poirier, Batholomew Boutellis.
Que fêtaient-ils donc, les trois complices joyeusement éméchés ? la publication de ses Fables par La Fontaine. Au-delà de leur amitié placée sous le signe du Monomotapa, on sent la disparité de leur situation et de leurs aspirations respectives. Molière, en homme à succès, virevolte, geste large, verbe haut. Racine, le benjamin, à l’orée d’une célébrité déjà reconnue, concocte sa comédie Les Plaideurs. Mais on perçoit chez le troisième larron, La Fontaine, un tempérament loyal, ombrageux, torturé. Nulle allégeance à une autorité qui le ferait dévier de ses fidélités et de son regard tendre mais sans concession sur les travers humains. Arrive Colbert, masqué et vite percé à jour, et les trois hommes vont donner à voir leurs divergences face au puissant ministre, négociateur retors, qui détient les armes inquiétantes du pouvoir coercitif. La Fontaine, irréductiblement insolent, ne pliera pas l’échine, quels que soient les dommages de son intransigeance. Racine, témoin caché, cuve une ivresse qui le dédouane des facéties de la jeunesse. Molière, quant à lui, ramène la paix par l’artifice d’une mise en scène improvisée. Dos à dos, La Fontaine et Colbert se prêteront à ce jeu factice, qui dévoile en filigrane une estime mutuelle que la raison d’Etat interdira toujours entre le Poète et le porteur de la parole royale.
La quasi similitude de leur costume rend les protagonistes à la fois mêmes et différents, témoins en noir et blanc de toutes les époques. Et chacun des quatre acteurs impulse un rythme très diversifié à cette réflexion sur l’écriture, l’autorité et la censure.
Seul élément scénique, central et coloré, des livres empilés sont à la fois le lieu de la discorde, la victoire de l’insolence et le siège que l’on peut écraser de tout son poids. Leur ambiguïté métaphorique est renforcée par le miroir, seuil translucide entre les menaces extérieures du Pouvoir et l’antre protecteur de la liberté. Et les masques, tour à tour portés et reposés, inscrivent les personnages dans l’universelle tragi-comédie.
Une bien belle variation ludique qui donne à penser sur l’efficacité intemporelle de la Fable et l’éternelle leçon du Théâtre. Théâtre du Lucernaire 6e. A.D.


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