LA COMÉDIE INDIGÈNE

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n° 335
du 16 janvier 2012


LA COMÉDIE INDIGÈNE. Textes de Césaire, Conrad, Fanon, Flaubert, Gide, Hugo, Lamartine, Maupassant, Mbembe ... Conception et mise en scène Lotfi Achour. Avec Thierry Blanc, Marcel Mankita, Ydire Saïdi, Lê Duy Xuân.
Que veux-tu que nous en fassions ? Seuls le silence et l'obscurité de la scène comme de la salle peuvent résonner à cette question toujours d'actualité. L'Annamite est lubrique, l'Arabe est fourbe et paresseux, et pire, nyctalope, la Négresse a le cerveau gourd et stagnant, une sensualité lente. Ce ne sont là que quelques unes des multiples affirmations qui émaillent les discours et manuels, militaires ou anthropologiques, de la France coloniale. Tous aphorismes, souvent sexuels et graveleux, empiriques et pseudo-scientifiques, authentiquement repérés dans le fleuve de cette littérature qui pourrait passer pour hautement caricaturale, si elle n'avait abreuvé les mentalités et autorisé les pires « éducations » destinées aux colonisés et asservis de tout poil.
Citations à l'appui de cette verve auto-satisfaite, Montesquieu, Lamartine, Maupassant, Flaubert, entre autres, y sont convoqués, même le grand Tocqueville, penseur de la Démocratie… C'est dire si l'argumentaire en serait digne de foi !!! L'insondable bêtise est même cautionnée par Gide et Conrad… d'autant plus criminelle qu'en termes si élégants et lyriques ces choses-là sont dites !
Lofti Achour, à partir d'un très sérieux recueil de ce matériau, non exhaustif tant il est vaste, a choisi le théâtre pour en montrer la malfaisance historique et surtout les effets dévastateurs et toujours d'actualité dans notre monde contemporain. Aux côtés de Lê Duy Xuan chantante et ondulante, trois personnages masculins campent les figures coloniales, Thierry Blanc est le Blanc sans nul soupçon de mauvaise conscience et de remise en question, fier de sa pédagogie langagière et imbu de sa faconde oratoire, Marcel Mankita et Ydire Saïdi se prêtent aux archétypes convenus de l'indigène, le Noir flagorneur ou simplet, l'Arabe obséquieux.
On rit beaucoup tant la charge est joyeusement menée, on s'indigne encore davantage, de toute façon bouche bée devant tant d'ignominie. Décolonisation n'est pas libération, comme le manifeste le décor en barreaux de prison, métaphore de notre incarcération mentale dans les schémas enkystés.
Et nous voici renvoyés à la mauvaise conscience, à la mauvaise foi quotidienne de nos regards réducteurs, de nos définitions généralisantes et abusives. Les Arabes, l'Afrique… Le rire de dénonciation ne cache que bien peu l'amertume de ces évidences auxquelles nul ne peut échapper, ni l'ex-colonisateur ni même l'ex-colonisé ! Que veux-tu que nous en fassions ? Telle est la force du théâtre de ne pas nous laisser en paix, mais surtout de se renvoyer le miroir de ses propres interrogations, sans prétendre à la réponse. Une saine pédagogie à diffuser largement. Théâtre Le Tarmac 20e.


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