COLLABORATION

Article publié dans la Lettre n° 330
du 3 octobre 2011


COLLABORATION de Ronald Harwood. Texte français Dominique Hollier. Mise en scène Georges Werler avec Michel Aumont, Didier Sandre, Christiane Cohendy, Stéphanie Pasquet, Patrick Payet, Sébastien Rognoni, Éric Verdin.
« Je meurs, je meurs dans un désert de sable » ! Ce constat de la bouche de Richard Strauss sonne comme le glas. Il s’agit de son inspiration. Nous sommes en 1931 et depuis la mort de Von Hofmannsthal, son fidèle librettiste, il connait cette panne, cette angoisse de la page blanche de tout auteur. Il a besoin d’un opéra et depuis trois ans, il n’a rien trouvé. Il pense alors à Stefan Zweig, auteur autrichien reconnu, qu’il admire. Lui seul, à son avis, peut « collaborer » avec lui pour créer un nouvel opéra. Zweig est alors invité à Garmisch où réside Strauss. Son épouse Pauline (Christiane Cohendy, excellente), accueille l’écrivain avec plaisir. Elle aime l’auteur de Lettre d’une inconnue. Elle s’empresse, non sans humour : « Je ne savais pas que je serais aussi heureuse de rencontrer l’homme qui m’a tant fait pleurer » ! Le grand compositeur intimide Stefan Zweig. Il est flatté par sa requête, refuse tout d’abord, puis accepte, pressé par son insistance. De ces deux génies conjugués, naît en 1935, sur un livret de Zweig, un opéra bouffe, inspiré de Ben Jonson, « la Femme silencieuse ». Le nom de Zweig n’apparaît pas sur l’affiche. Strauss obtient du directeur qu’il y soit en bonne et due place. Alors, l’opéra n’est plus joué, le directeur renvoyé. En Allemagne, sévit sans relâche la bête immonde. Richard Strauss ne croit pas à cette bête-là. Il n’est pas contre ce régime, pis, il le sous-estime. Stefan Zweig au contraire a compris. Il est juif et son angoisse croît chaque jour. Le compositeur se veut rassurant, il se croit intouchable : ils ont besoin de lui. « Je ne collaborerai jamais avec les nazis et je ne vous lâcherai jamais ». Mais une autre collaboration bien plus humiliante et douloureuse l’attend. Plier sous ce régime, satisfaire les ordres nazis. Il est nommé Président de la Chambre de Musique du Reich. Sans pouvoir intervenir, il voit Stefan Sweig partir pour l’Angleterre, la mort déjà dans l’âme : « La route est tracée, nous serons des juifs errants, c’est une tradition parfaitement honorable » dit celui-ci à sa secrétaire et compagne Lotte (Stéphanie Pasquet, au jeu très subtil). Leur correspondance est interceptée et interprétée. Strauss doit alors démissionner de son poste de Président. Il n’a pas le choix. Comme beaucoup de ses compatriotes, il a un talon d’Achille : Alice, sa belle fille, est juive et par conséquent ses petits-enfants. Il devra par la suite, entre autres, composer l’hymne des Jeux Olympiques de Berlin en 1936. Le suicide de Zweig au Brésil est le coup de grâce et pas le seul. Toute cette horreur éradiquée, il lui faudra s’expliquer sur sa collaboration avec le régime maudit, et rendre des comptes à la commission de dénazification. « Qu’auriez-vous fait à ma place ? », sera son cri de défense.
Cet aspect du nazisme a souvent été traité. On se souvient avec émotion de À torts et à raisons du même auteur (Lettre 163) qui traitait plus particulièrement des lendemains de cette « collaboration ». Des chefs d’orchestre, des musiciens et bien d’autres artistes durent servir le régime nazi, parfois par conviction mais le plus souvent par intimidation ou de force. Pour incarner les deux personnages de ce texte très fort de Ronald Harwood, deux grandes figures du théâtre. Michel Aumont, tout en force, Didier Sandre, tout en finesse, sont époustouflants, inspirés par l’intelligente mise en scène de Georges Werler et une scénographie sans faille. Du bon théâtre comme on aimerait en voir plus souvent. Théâtre des Variétés 10e.


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