LE CHANT DU CYGNE

Article publié dans la Lettre n° 334
du 26 décembre 2011


LE CHANT DU CYGNE d’après Anton Tchékhov. Adaptation et mise en scène Sarah Gabrielle avec Antony Audoux, Nicolas Chupin, Marie Frémont, Sarah Gabrielle, Serge Noël, Aurélien Tourte.
Ma vie a dévoré ma propre vie… Au soir de lui-même, c’est le douloureux constat que fait Svetlovidov, vieil acteur lourd de ses 68 années, dont 45 passées au service du théâtre. Il s’est endormi, dans le sommeil du vieil ivrogne, au sortir de sa dernière prestation. Effondré au mitan d’un canapé de scène, il s’arrache pesamment aux affres de cette solitude de mort. Est-il vraiment réveillé ? C’est ce que tendrait à lui prouver le souffleur, qui va l’accompagner dans ce dernier rêve éveillé à l’aune de sa vie d’histrion. Pour Nikita Ivanitch qui fut la mémoire de ses années au point de le remplacer, même caricaturalement, dans le parcours de ses ultimes rêves, Svetlovidov évoque ses amours tumultueuses et nostalgiques, cette épouse juive qu’il n’a pas su aimer à sa vraie mesure, les actrices qui ont fugacement et passionnément traversé le désert de son cœur. Désert certes, force lui est de le constater quand il mesure le vide qui l’habite à l’heure de la fuite définitive. Histrion, il ne fut que cela, entre comique grinçant et émotion poétique. Et il convoque les figures de ses succès comme celles de ses illusions. Dans un duo étrange avec celui qu’il fut, bien des années auparavant, il assiste, dédoublé, plein de douleur attendrie et amusée, à ses meilleures scènes et à ses ruptures, mêlant dans le même fleuve le discours de sa vie et les répliques de ses rôles. Où s’arrête la vie, où commence le théâtre ? Quand vit-on réellement, quand la scène s’interrompt-elle ? De ce vertige virevoltant entre réalité de la mort qui s’approche et mirage de l’acteur en proie aux démons de ses souvenirs, on sort ému et bouleversé. Emerveillé surtout par l’intensité poétique de ce regard lucide sur la condition de l’acteur, par la plénitude des mots et des gestes dont est tissé le théâtre, bulle d’artifices qui éclate sur le vide obscur.
Que le théâtre en général et Tchékhov en particulier sont magiques, lorsqu’ils sont servis avec intelligence, humour et vivacité par la mise en scène et les acteurs excellents qui les habitent avec tant de grâce ! Chant du cygne, chant de douleur et d’amour du bel oiseau qui s’achemine, lucide et apaisé, vers le séjour définitif de sa Muse. Il est délicieux de ne pas en sortir indemne. Théâtre du Lucernaire 6e. A.D.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Fermez cette fenêtre ou mettez-la en réduction pour revenir à « Spectacles Sélection »