CESAR, FANNY, MARIUS

Article publié dans la Lettre n° 295


CÉSAR, FANNY, MARIUS d’après les œuvres de Marcel Pagnol. Adaptation et mise en scène Francis Huster avec Jacques Weber, Francis Huster, Hafsia Herzi, Stanley Weber, Urbain Cancelier, Charlotte Kady, Éric Laugérias, Jean-Pierre Bernard, Arnaud Charin, Fabrice Darzens, Serge Esposito, Lisa Masker, Benjamin Nissen, Serge Spira.
Comment ne pas s’arrêter ne serait-ce qu’un instant sur le double décor de Thierry Flamand, le célèbre Bar de la Marine donnant sur le vieux port ? A l’intérieur, les murs bleus écaillés ont vu et écouté les milliers de consommateurs lever le coude, s’échauffer, refaire le monde, égratigner le voisin ou le copain de trente ans ou plus, organiser des milliers de parties de manilles ou d’écartés, le verbe haut, la faconde et les quolibets faciles. Son réalisme surprend autant qu’il émerveille. Un vrai plaisir des yeux, avec son comptoir poli par les coups de chiffon, les bouteilles anciennes aux étiquettes évocatrices, les tables et les chaises rescapées d’un temps révolu. Depuis les fenêtres, parvient le sifflement strident des sirènes des docks saluant midi. On distingue le port, le bord de l’eau puis, plus tard, le fameux bateau à voiles qui emportera Marius. À l’extérieur, à la devanture et ses affiches anciennes, à l’éventaire d’Honorine, au trottoir où chaises et tables se chauffent au soleil, fait face le magasin de voiles de Panisse, dont la façade est toute prête à recevoir les lettres tant espérées : « & Fils », à la droite du nom du père.Thierry Flamand nous transporte en un éclair dans ce Marseille de Pagnol, bruyant, chamailleur et chaleureux, non seulement représentatif d’une région et d’une époque mais aussi de tout un pays et d’un peuple. Grâce aux sons, à la musique et aux savants éclairages qui dosent la lumière du matin ou du soir, il offre aux premiers regards une ambiance et un espace de rêve au metteur en scène et aux comédiens.
Francis Huster s’est lancé dans une aventure périlleuse, celle d’adapter les deux pièces Marius, Fanny et le film César, autant dire un monument, dont il a dû choisir les moments les plus représentatifs. Le lieu coulait de source car le Bar de la Marine est l’endroit le plus approprié pour réunir les différentes scènes. César y règne en maître, élevant seul un fils adoré. Et si le départ brutal de Marius le laissera désemparé, celui-ci laissera Fanny inconsolable et dans l’angoisse du déshonneur.
Privilégier les rapports père fils, César Marius, et mère fille, Honorine Fanny, était un excellent parti pris car ce quatuor permet de bien suivre le fil conducteur de la trilogie, entourés des incontournables amis, Panisse, Escartefigue, Brun et Innocent qui jouent des scènes d’anthologie incontournables. Respecter le texte, l’accent, le rythme du phrasé et l’époque des années trente, enfin, étaient indispensables pour retrouver l’atmosphère si particulière des œuvres de Marcel Pagnol. Francis Huster peut être heureux et fier. Il a réussi ce tour de force en élaborant une adaptation d’une grande qualité, formidable tremplin pour sa mise en scène. Si l’extrême fluidité et la vivacité de celle-ci sont à célébrer, le choix des comédiens est lui aussi à saluer. Francis Weber est un César somptueux, aussi juste dans ses colères lorsqu’il tarabuste son fils ou engueule les copains, qu’émouvant dans la scène finale. Charlotte Kady est une Honorine fine et juste, tentant de concilier sa vie pesante et difficile de veuve et celle de mère aimante mais respectueuse de l’honneur de la famille, déjà terni par sa soeur. Hafsia Herzi et Stanley Weber, Marius et Fanny, font un couple très crédible, lui partagé entre l’appel de la mer et son amour pour Fanny, elle sacrifiant le sien au bonheur de l’aimé. Urbain Cancelier et Éric Laugérias forment un duo inénarrable, attablés cartes en mains, suivant les péripéties d’un air entendu et goguenard. Francis Huster enfin, dans son double labeur de metteur en scène et de comédien, interprète un Panisse touchant, bien que parfois un peu trop emporté dans le rôle complexe d’un homme qui doit parvenir à ses fins tout en restant mesuré. Ensemble et soudés, ils nous régalent de trois heures d’un spectacle dense, authentique et émouvant. Théâtre Antoine 10e.


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