CAMILLE C.

Article publié dans la Lettre n° 238


CAMILLE C. Texte, paroles et musiques Jonathan Kerr. Direction musicale Patrice Peyriéras. Mise en scène Jean-Luc Moreau avec Annick Cisaruk, Vincent Heden, Jonathan Kerr, Sophie Tellier, Cecilia Bengolea.
Camille refusa toujours le nom de Claudel. Les relations avec sa famille, la notoriété de ce frère aimé, mais voué à la célébrité, et surtout, la passion qu’elle ressentit pour Auguste Rodin lui donnèrent à penser que seul le patronyme du sculpteur méritait de remplacer le sien. Mais rien ne se passa selon ses désirs. Née dix mois après un frère aîné qui ne survécut que deux semaines, elle vit grandir envers elle l’animosité de sa mère. Celle qui la surnomma « l’usurpatrice » ressentit pour cette fille anticonformiste et trop originale un féroce rejet qui la poursuivra jusqu’à ce qu'elle s’en débarrasse. Sculpteur génial, mais ayant eu la malchance de naître fille et trop tôt, Camille n’eut jamais sa place dans un monde régi par les hommes. Trop libre, trop fantasque, trop passionnée, elle dérangea très vite ces mâles lâches, égoïstes et misogynes du début du siècle, dont le seul but était de profiter d'un sexe réputé faible et de l'écraser. Deux signatures, celles de sa mère et de son frère, suffiront à l’enfermer dans un asile d’aliénés, jusqu’à sa mort, trente ans plus tard.
Amateur de mythologie, Jonathan Kerr a eu l’idée de rapprocher l’histoire de Camille de celle de Perséphone. Là où Hermès intervint dans le destin de la fille de Jupiter et de Déméter, il est le narrateur et le lien entre la véritable histoire de Camille et son aspect rêvé, ce qui lui permettra d’imaginer une fin heureuse. Vincent Heden tient ce rôle, ainsi que celui de Paul Claudel et de Jessie Lipcomb, l’amie fidèle et la confidente, passant de l’un à l’autre avec beaucoup d’aisance. Le théâtre chanté est apparu à Jonathan Kerr comme le meilleur moyen de transmettre la passion et l’émotion qui se dégagent de l’histoire. Si lui-même prête sa prestance et sa voix magnifique au rôle de Rodin, Annick Cisaruk et Sophie Tellier tiennent de façon remarquable les rôles de Camille âgée et jeune. Vingt chansons écrites par l’auteur animent le spectacle. Les paroles sont souvent la faiblesse du genre. Elles sont ici d’une grande qualité artistique, Camille, Rodin étant la plus émouvante.
Grâce à une mise en scène sobre et à une direction d’acteur impeccable, les comédiens étonnent par leur professionnalisme et la qualité de leur voix. Ce plaisir auditif est mêlé à celui esthétique d’une « sculpture vivante », animée par Cecilia Bengolea, ravissante danseuse qui se plie savamment à l’imagination des mains créatrices de l'artiste. Un travail remarquable par sa sensibilité et son intelligence, ambitieux et original, qui sort des sentiers battus. Théâtre de l’Oeuvre 9e. Texte édité à L’avant Scène théâtre n°1176.


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