LE BAL d’Irène Némirovsky. Mise en scène Virginie Lemoine et Marie Chevalot avec Lucie Barret, Brigitte Faure, Serge Noël, Françoise Miquelis, Pascal Vannson.
On devrait toujours se méfier de l’imprévisibilité vengeresse de l’adolescence… Une mère déteste sans aucune cordialité sa fille, qui le lui rend bien, et les noms d’oiseau volent dans l’air familial. Vulgaire et sans grâce, Madame a eu la chance de se faire épouser par son amant, soudainement enrichi par la chance d’un placement boursier. Alors, on s’étale, on se vautre dans le luxe tapageur des parvenus. Un bal couronnera la réussite, auquel seront invités le ban et l’arrière-ban de ce que l’on prend pour le grand chic parisien. Pas question pour Madame que la jeune Antoinette, en frais miroir de sa propre décrépitude, vienne lui gâcher le plaisir de l’exhibitionnisme mondain. Des fois que passerait à portée l’amant potentiel… Mais Antoinette, traversée d’émois amoureux et d’amertume revancharde, contre sa mère, contre son acrimonieuse professeure de piano et même son volage chaperon, croisera le fleuve, les invitations à la main…
Le décor art-déco est d’un parfait mauvais goût à la mesure du ridicule vestimentaire et langagier de ses hôtes, qui voudraient « en mettre plein la vue », mais trahissent à chaque détour de phrase la pusillanimité graveleuse, la pingrerie atavique, la méchanceté sournoise. La mère vitupère et caquette, le père est veule, empêtré d’une épouse qui explose en hystérie à chaque instant. Le valet brocarde ses maîtres dans leur dos, la vieille fille pseudo-mélomane déguste sa jalousie devant le fiasco de l’événement. Dans le chaos final, la mère flouée et anéantie convulse en pleurs et sanglots, consolée par une Antoinette sardonique et sans remords.
Ce tableau au scalpel provoque les rires, d’autant plus stimulés qu’ils sont portés sans répit par les dialogues et la gestuelle des cinq acteurs manifestement dans la jubilation d’un texte si finement ciselé.
Un bijou de cruauté pétillante. A.D. Théâtre Rive Gauche 14e.