L'AVARE

Article publié dans la Lettre n° 265

L’AVARE de Molière. Mise en scène Georges Werler avec Michel Bouquet, Juliette Carré, Jacques Échantillon, Bruno Debrandt, Benjamin Egner, Marion Amiaud, Jacques Bleu, Sophie Botte, Olivier Lefevre, Sylvain Machac, Pascal Nawojski, Patrick Payet, Sébastien Rognoni, Fabienne Vette.
Avec ses soixante ans « bien comptés », Harpagon a passé l’âge d’être amoureux. Et pourtant son regard s’est posé sur Mariane, une très jeune fille qu’il songe à épouser malgré un obstacle de taille : elle est sans dot. Las! Son fils Cléante poursuit le même dessein. Lui aussi a jeté son dévolu sur cette fraîche beauté vêtue d’organdi blanc et de probité candide et, pour son bonheur, son amour est partagé. Il s’en ouvre à sa sœur Élise car leur père exerce sur eux une « rigoureuse épargne », obligeant le jeune homme à recourir à tous les expédients dont les jeux d’argent « pour avoir moyen de porter des habits raisonnables ». Il songe donc à emprunter à un usurier et propose à Élise de fuir cette tyrannie. Celle-ci se trouve dans les mêmes affres. Elle aime Valère, entré au service d’Harpagon pour l’approcher et lui déclarer sa flamme. C’est alors que leur père leur annonce son mariage avec Mariane, conclu par l’entremise de Frosine, celui d’Élise avec un barbon, réservant à son fils la main d’une veuve !
Ce drame de l’amour contrarié aurait fait les délices d’un Marivaux à peine un siècle plus tard, mais le propos de Molière est tout autre. De retour à Paris après avoir passé des années en province avec sa troupe, il se heurte non seulement aux comédiens du roi mais se fait d’autres ennemis dont il a égratigné de sa plume la susceptibilité. Car il n’épargne pas plus les dévots, les bourgeois, les médecins accrochés à leurs préjugés, que la société écervelée, éprise de mode et de nouveautés qu’il côtoie. En brossant le portrait d’Harpagon le rapace, il traite de l’un des nombreux vices de ses semblables, l’avarice, qui détruit tout chez son personnage et en premier lieu ce qui l’unit à ses propres enfants.
Avec cette pièce, il exprime une fois de plus ce que représentait d’abord pour lui la scène d’un théâtre: « l’école des mœurs ». Il ne lui reste que cinq ans à vivre. L’ Avare sera l’un des plus beaux bouquets de son feu d’artifice pour la peinture des caractères car autour du héros qui ne vit que pour la possession de l’argent, il peint toute une flopée de personnages, soumis eux-mêmes à la soif de l’argent, mais à d’autres fins.
1668-2007. Il serait vain de compter le nombre de représentations données de cette pièce ou de citer certaines des mises en scènes ou des interprétations qui l'ont marquée. Georges Werler joue la carte du classicisme. Il s’attache à exploiter les intentions et les nombreux effets comiques de la pièce dans un décor aussi austère que le maître des lieux, et grâce à des comédiens merveilleusement efficaces, habillés de façon très ingénieuse selon leur emploi et leur tempérament, l’habit d’Harpagon étant particulièrement soigné ! Michel Bouquet exploite avec une formidable subtilité tous les sentiments qui anime son personnage, abordant sans excès inutile les scènes clé où son avarice est exacerbé. Il met une fois encore son immense talent au service des plus grands rôles. Théâtre de la Porte Saint-Martin 10e.

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