AVANT DE S’ENVOLER de Florian Zeller. Mise en scène Ladislas Chollat avec Robert Hirsch, Isabelle Sadoyan, Claire Nadeau, Anne Loiret, Léna Bréban, François Feroleto.
L’amour ne s’étiole pas toujours avec le temps. Il est des gens heureux qui au soir de leur vie commune restent soudés par un amour partagé. Jour après jour, ils continuent de concert leur cheminement amoureux que rien ne peut séparer sauf l’inéluctable.
Anne et Élise sont surprises de voir comme leurs parents ont su franchir les années de mariage sans subir l’usure du temps. Depuis cinquante ans André et Madeleine ont fait leur vie ensemble et si celle-ci les a marqués de rides, leur amour est neuf comme aux premiers jours. Ils s’interrogent aujourd’hui. « Et si tu pars en premier, que deviendrais-je sans toi ? ». Ils évoquent l’histoire de ce vieux couple qui décida un jour de « partir » ensemble dans la chambre d’hôtel où ils avaient passé leur nuit de noce. L’inévitable peut survenir à tout moment. Cela est subi et surprenant. Anne, venue voir ses parents le temps d’un week-end, s’active dans la maison avec la nécessité impérieuse de « mettre de l’ordre dans tout cela » mais aussi de « trouver une solution » pour celui qui reste. « La maison est merveilleuse mais on ne peut pas vivre seul ici, il faut prendre la voiture pour aller chez le boulanger » dit-elle en substance, ce à quoi elle s’entend répondre : « biscotte » ! Une bonne biscotte avec du beurre et de la confiture de fraise vaut tous les pains du monde !
Élise, la cadette, rejoint sa sœur et s’étonne que celle-ci s’obstine à mettre de l’ordre dans les carnets de son père, écrivain. « C’est son éditeur qui me l’a demandé » objecte-t-elle. Toutes les deux sont inquiètes de l’avenir, elles qui ont leur vie et leurs propres soucis. En se rendant dans le bourg, Anne a franchi la porte d’une agence immobilière. Élise est en couple depuis peu avec Paul qui la rejoint. Paul est agent immobilier. Oui, bien sûr, la maison est belle mais celui qui reste ne peut continuer d’y vivre seul. Les deux sœurs, pour leur tranquillité d’esprit, en sont convaincues. Elles parlent avec insistance d’une Maison bleue avec une belle chambre donnant sur un parc…
André est posté devant la fenêtre, muet ou laconique, cherchant Madeleine du regard qui va et vient du marché à la cuisine, de la cuisine au potager pour cueillir les quelques brins de ciboulette indispensables à la préparation du plat de champignons dont il est si friand. Et puis il y a cette femme rencontrée au marché dont l’intrusion ne laisse de surprendre. Cette Madame Schwartz bientôt devenue Schwar ou même Armanet, nom de ce voisin que l’on croyait disparu et qu’André a croisé un jour dans une rue de Paris. Elle semble l’avoir bien connu à l’époque où ils fréquentaient un certain Georges. De qui parle-t-elle exactement ? D’André ou de Georges ?
Florian Zeller aborde la fin tristement programmée d’une vie à deux par petites touches successives mais aux contours aussi peu définis qu’une série de photos désordonnées que l’on regarde jusqu’à la dernière, tellement bouleversante : Madeleine rassure André, lui assis, elle debout derrière lui: « Ne t’inquiète pas, je suis là, je serai toujours là. Ne crains rien, je veille sur toi mon chéri ». Rien de linéaire ni de chronologique dans cette suite de scènes « vécues » par les personnages. La distribution est magnifique à commencer par Robert Hirsch et Isabelle Sadoyant. Leur présence étincelante garde une belle sobriété. Anne Loiret et Léna Bréban jouent pleinement leur rôle de filles, Claire Nadeau et François Feroleto, éléments extérieurs au cercle restreint, apportent la petite touche nécessaire à cette réunion de famille.
Il est vain de chercher à savoir qui, pourquoi ? Il faut simplement se laisser emporter par la mise en scène en osmose avec un texte qui décrit si justement l’angoisse de perdre l’être aimé, celle de le voir s’envoler le premier. Théâtre de l’Œuvre 9e.