ANTIGONE

Article publié dans la Lettre n° 343
du 24 septembre 2012


ANTIGONE de Jean Anouilh. Mise en scène Marc Paquien avec Véronique Vella, Bruno Raffaelli, Françoise Gillard, Clotilde de Bayser, Benjamin Jungers, Stéphane Varupenne, Nâzim Boudjenah, Marion Malenfant et les élèves-comédiens de la Comédie-Française, Laurent Cogez, Carine Goron, Maxime Taffanel.
Antigone est sortie avant l’aube, décidée à accomplir son dessein, celui de recouvrir le corps de Polynice, son frère mort et condamné à pourrir au soleil, proie des corbeaux et des chacals. A la mort de leur père, le roi Œdipe, Étéocle et Polynice devaient régner sur Thèbes, un an à tour de rôle mais, au terme de la première année, Étéocle a refusé de laisser la place. Alors ils se sont entre-tués. Créon, leur oncle, le nouveau roi, a organisé des funérailles grandioses pour Étéocle mais a décidé que Polynice, le vaurien, serait laissé sans sépulture. Révoltée par cet ordre qui condamne l’âme de son frère à errer sans fin, Antigone a gratté la terre de ses mains pour protéger son corps. Surprise alors qu’elle s’enfuit, elle est ramenée au palais par les gardes. Créon tente de la raisonner, de la convaincre de taire un acte qui, selon la loi, condamne son auteur à mort. Antigone est sa nièce, il l’a vue grandir et elle va épouser Hémon, son propre fils, qui l’aime passionnément. Mais Antigone, la révoltée, se veut libre de toute entrave. Elle veut tout de la vie et rejette son usure fatale. Ce que Créon lui expose du bonheur ne la séduit pas. Rien ne la fait changer d’avis, pas même la trahison que s’apprêtait à commettre Étéocle, pas même le portrait peu flatteur de Polynice, dévoilés par son oncle. Elle préfère mourir plutôt que de renier son acte, entraînant dans sa chute ceux qui l’aiment.
Antigone, créée en 1942, avait remporté un succès immédiat, la France occupée ayant soif de héros luttant pour leurs convictions. Au-delà du geste de son héroïne, la pièce apporte de multiples réflexions. « La maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux », mais campée sur son idéal, ne remet rien en question et pourtant les révélations de Créon sur ses deux frères auraient pu la faire réfléchir. Elle affronte avec véhémence un roi qu’elle méprise, « cet homme robuste, aux cheveux blancs … [qui] joue au jeu difficile de conduire les hommes », mais qui a compris trop tard, lui aussi, que « la vie c’est un livre qu’on aime, c’est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu’on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison». Mais il a le sens du devoir. Car Anouilh parle aussi du pouvoir, de son absolutisme, de sa lassitude, de son usure, du rôle ingrat de celui qui l’exerce. La tragédie arrivée à son terme, Créon conclut comme pour se justifier : « Un jour je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j’aimais autre chose dans la vie que d’être puissant ». «…On est là devant l’ouvrage, on ne peut pourtant pas se croiser les bras. Ils disent que c’est une sale besogne, mais si on ne la fait pas, qui la fera ?» Seul, mais juste et surtout responsable.
La mise en scène exprime tout cela avec une grande netteté. L’excellence de l’interprétation permet au texte de s’exhaler comme un parfum dans toute sa puissance et sa beauté. Le public sous le charme déserte le théâtre avec regret. Théâtre du Vieux Colombier 6e.


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