L'ANNIVERSAIRE

Article publié dans la Lettre n° 295


L’ANNIVERSAIRE de Harold Pinter. Adaptation et mise en scène Michel Fagadau avec Lorànt Deutsch, Andréa Ferréol, Jean-François Stévenin, Nicolas Vaude, Jacques Boudet, Émilie Chesnais.
Une pension de famille sur le littoral du sud de l’Angleterre. Tout est calme dans le living room. Meg Boles s’affaire dans la cuisine pendant que Peter, son mari, rentre de son travail. Il loue des chaises sur la plage. Meg n’a qu’un seul pensionnaire à s’occuper. Elle ne sait rien de lui si ce n’est son nom, Stanley Weber, et qu’il fut pianiste autrefois. Pour l’heure, il se lève tard, fait l’enfant, et ne veut voir personne. Drôle de client venu de nulle part, peu enclin à repartir et qui ne semble pas vouloir ou pouvoir devenir adulte. Meg qui n’a pas eu de fils le couve. C’est son anniversaire, elle lui a acheté un cadeau, un tambour d’enfant. Lulu, amie des Boles, va et vient, tourne autour de Stanley. Mais deux hommes surviennent et louent une chambre pour deux jours. Ils ont garé leur grosse voiture, signe extérieur de richesse, sur le côté de la pension. Goldberg, tiré à quatre épingles, parle fort et beaucoup, se pose en homme important qui a réussi. Mc Cann, son homme de main, est beaucoup moins bavard. Goldberg pose des questions sur Stanley, insiste pour organiser une soirée pour l’anniversaire, envoie Mc Cann chercher de l’alccol sans payer. Son nom sert de sésame alors qu’il semble n’avoir jamais fréquenté les lieux. Ils repartiront le lendemain avec Stanley, laissant Meg et Peter désemparés.
Qui est Stanley et qu’est-il venu chercher dans cette pension de famille ? Pourquoi suit-il, obéissant, Goldberg et Mc Cann? Qui sont ces derniers, porte-flingues inquiétants, qui viennent bouleverser tout à coup la paix du lieu et que veulent-ils de Stanley, qu’ils semblent connaître ? Pas de réponse franche dans ce théâtre de l’absurde, seulement des pistes échafaudées à partir de situations et de l’idiosyncrasie des personnages, de ce qu’ils disent, se disent ou sous-entendent.
Prix Nobel de littérature 2005, Harold Pinter est décédé le 24 décembre dernier à l’âge de 78 ans. Intellectuel connu pour ses prises de positions politiques, auteur de plus de trente pièces de théâtre, de films, de scénarios, L’anniversaire, est l’une de ses œuvres de jeunesse. Elle est aussi la plus énigmatique et fait partie des pièces qu’il qualifiait de « comédies de la menace ». La menace dans L’anniversaire, vient des autres mais aussi des individus eux-mêmes. Elle raconte l’intrusion dans un lieu paisible de deux personnages inquiétants en quête d’un troisième qu’il emmèneront avec eux sans qu’il ne proteste. Pour vivre heureux vivons cachés. La cache de Stanley est découverte mais la raison de cette intrusion reste un mystère. Beaucoup de thèmes sont abordés dans cette pièce. Celui de l’obéissance mais aussi de la recherche de l’identité. Les dialogues, creux au début entre Meg et Peter, cèdent la place à un échange plus oppressant avec l’arrivée des deux inconnus et suggèrent, à travers les mots, les obstacles que chacun a à franchir dans cette quête d’identité.
Les rôles sont remarquablement endossés par les comédiens conduits par une mise en scène très forte. Après Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac (Lettre 273), où il incarnait un enfant refusant de grandir, Lorànt Deutsch renoue avec le théâtre de l’absurde et incarne Stanley, jeune homme qui a peur d’assumer l’âge adulte. Il se glisse comme dans un gant dans ce rôle, comme il s’était glissé dans l’autre. Jean-François Stévenin et Nicolas Vaude jouent avec talent les deux intrus qui viennent troubler la tranquillité de Andréa Ferréol et de Jacques Boudet, formidables Meg et Peter. Émilie Chesnais est une Lulu juste et spontanée. Sa jeune carrière, déjà bien remplie, est toute tracée.
Les pièces de Harold Pinter portent un discours politique que l’on peut discerner dans les rapports entre oppresseurs, Goldberg et Mc Cann, et oppressé, Stanley. Cette incursion aussi soudaine qu’angoissante dans le cocon de Stanley évoque le souvenir des coups frappés à l’aube dans un régime totalitaire et donne le sentiment de l’impossibilité de pouvoir vivre en paix. Harold Pinter confia un jour: « Dans ma pièce L’anniversaire, il me semble que je lance des pistes d’interprétation très diverses, les laissant opérer dans une épaisse forêt de possibles avant de me concentrer, au final, sur un acte de soumission ». Tout un programme ! Comédie des Champs-Elysées 8e.


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