ANNA KARENINA

Article publié dans la Lettre n° 394
du 21 mars 2016


ANNA KARENINA d’après le roman de Léon Tolstoï. Texte Helen Edmundson. Version française et mise en scène Cerise Guy, assistée de Cyrille Denante, avec Mathilde Hennekinne, Antoine Cholet, Emmanuel Dechartre, François Pouron, Eloïse Auria, Stéphane Ronchewski, Isabelle Andreani, Sandrine L’ Ara ou Cerise Guy, Laurent Letellier.
Anna Karenine, jeune femme pulpeuse et souriante, vit à Saint-Pétersbourg, aux côtés d’un mari nettement plus âgé et de leur jeune fils, une existence sans lueur. Kostia Levine, quant à lui, plein d’un ombrageux amour pour la jeune Kitty qui le repousse d’abord, s’abîme dans les travaux que nécessite son domaine rural. Anna croise la route du Comte Vronsky et ils s’enflamment d’une passion fulgurante qui va ravager un paysage de conformisme. Levine noie ses déceptions dans des utopies de partage et de bonheur conjugal.
Comment rendre théâtrale cette double vision de l’amour que le foisonnant roman de Tolstoï mène en parallèle, entrelaçant les intrigues, en miroir l’une de l’autre ? Vaste gageure que la mise en scène rend tangible, avec une incontestable efficacité. Sur le devant de la scène, Anna et Kostia se racontent en dialogue les épisodes de leurs amours respectives, que les témoins de ces parcours jouent en second et arrière-plans. Les décors sont minimalistes, simples panneaux coulissants qui délimitent les quais de gare, les salons de bal, les lieux d’affrontements divers. Nul temps mort dans cette course effrénée à la passion charnelle et à la solitude, à l’adultère, pardonné ou tragique, au mariage enfin réalisé ou au divorce impossible. Le commentaire omniprésent des deux protagonistes se glisse et se noue avec la vie tragique ou comique, jalouse ou pusillanime, lumineuse ou obscurcie, des divers acteurs de ce drame, dont la cruauté et la mortelle lucidité sont scandées par les apparitions sporadiques de la Mort masquée qui vient effleurer d’une main sans pitié l’héroïne jusqu’au suicide final.
La palette des couleurs est à l’aune de ces parcours, rouge du sang qui coule dans la passion ravageuse d’Anna, blanc de la naïveté de Kitty ou des amours heureuses, noir de l’intransigeance de l’époux bafoué et de sa vindicte méchante, tonalités ternes entre gris et marron des conformismes bourgeois ou des clairs obscurs propres à Levine.
Le spectateur se laisse emporter sans résister dans cette montée vers la catastrophe programmée.
Et la robe de sang d’Anna s’étale en corolle, fleur de passion fauchée. Et le monde qui l’entoure retourne à sa médiocrité sans espérance, et Kostia aux tortures intimes de son impossible absolu. A.D. Théâtre 14 14e.

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