ANNA CHRISTIE

Article publié dans la Lettre n° 378
du 9 février 2015


ANNA CHRISTIE de Eugene O’Neill. Adaptation Jean-Claude Carrière. Mise en scène Jean-Louis Martinelli avec Mélanie Thierry, Féodor Atkine, Stanley Weber, Charlotte Maury-Sentier.
Chris Christopherson, un marin d’origine suédoise, a bourlingué toute sa vie sur les mers, comme tous les membres de sa famille, accostant ça et là dans les ports du monde entier. À la mort prématurée de sa femme, il a confié sa fille Anna, encore enfant, à des cousins fermiers. Par négligence ou par indifférence, il ne l’a jamais revue. Aujourd’hui, caboteur attaché au port de New-York, il survient dans le bar vieillot tenu par sa compagne où les rares lettres que lui adresse sa fille l’attendent entre deux trajets. Un peu éméché, il tombe la veste, ouvre la dernière missive d’Anna qui, contre toute attente, lui annonce sa venue.
Lorsqu’elle paraît, Chris est ébloui par sa beauté. Fier de sa fille, sa tendresse de père renaît. Il l’emmène en mer « pour qu’elle se repose », lui enseigne quelques rudiments du métier. Tout d’abord réticente, Anna est vite conquise par l’océan qu’elle n’avait jamais vu et la liberté que lui confèrent les horizons sans fin du grand large. Burke, un marin en détresse, repêché par Chris et Anna à la suite d’un naufrage, tombe lui aussi sous le charme de la jeune femme. L’attirance est réciproque. Anna traîne cependant un passé difficile à avouer mais qu’elle ne peut se résoudre à cacher. Éprise d’indépendance, elle ne supporte pas l’emprise étouffante des deux hommes et leur machisme.
Chris et Burke reprendront la mer, emportés vers un destin commun, laissant Anna à sa solitude.
Eugène O’Neill brosse un tableau bien sombre de la famille et de l’existence errante des marins qui tuent le temps des escales dans les bars mal famés des ports et dépensent leur maigre solde en buvant plus que de raison, toujours à la recherche de filles faciles qu’ils méprisent. Le couplet féministe et le cliché récurrent de la mer, cette « salope » mangeuse d’hommes qui avale les uns après les autres maris, pères ou fils, et laisse les femmes dans l’attente vaine de leur retour, datent un peu. La pièce est malgré tout assez forte pour en exploiter ce qu’elle a de meilleur.
Jean-Claude Carrière et Jean-Louis Martinelli exécutent ici un beau travail d’adaptation et de mise en scène. Bar, quai, bateau, hangar sont matérialisés par un minimum de meubles et d’accessoires, tandis qu’une succession de visuels suggèrent les différents lieux et le temps qui s’écoule.
L’interprétation des comédiens est à saluer. Face à Féodor Atkine, très juste en vieux loup de mer revenu de tout et rongé de remords pour n’avoir pas joué son rôle de père, Stanley Weber impose avec talent sa carrure de jeune marin athlétique, tous deux charmés par Mélanie Thierry. Celle-ci interprète avec subtilité les deux facettes contradictoires d’Anna Christie, séduite par cette mer qu’elle découvre, qui la « lave » de son passé sans pourtant pouvoir le lui faire oublier. En deux scènes, Charlotte Maury-Sentier brosse avec justesse la femme à marins au soir de sa vie, grande « gueule » au grand cœur. Théâtre de l’Atelier 18e.


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