ANDORRA, AUTOPSIE D’UNE HAINE ORDINAIRE

Article publié dans la Lettre n° 391
du 18 janvier 2016


ANDORRA, AUTOPSIE D’UNE HAINE ORDINAIRE. Texte Max Frisch. Mise en scène Fabian Chappuis avec Alban Aumard, Anne Coutureau, Romain Dutheil, Stéphanie Labbé, Hugo Malpeyre, Laurent d’Olce, Loïc Risser, Marie-Céline Tuvache, Elisabeth Ventura, Eric Wolfer.
Une absurde innocence, qui se dresse face au mensonge, à la haine ordinairement raciste de toute une ville qui cherche à rayer de l’existence Andri, le jeune juif triomphalement sauvé dans l’enfance par son père adoptif, le maître d’école. Andri sera le bouc émissaire désigné, parce qu’en toute naïveté il aime Barbeline d’un amour qu’il ne sait pas interdit, parce que son père s’est enferré dans sa lâcheté et son mensonge, parce que sa vraie mère arrive sans crier gare, parce que rien ne peut contrer la bêtise agressive et violeuse d’un soldat, parce que…
Les habitants d’Andorra n’ont jamais remis en question leur certitude unanime d’être les meilleurs. Et quand ils manifestent un banal ostracisme à l’encontre d’Andri, envers et contre toute révélation de la vérité, ils ne font mine d’aucune contrition, même des années après la tragédie qui lui a coûté la vie.
La responsabilité en revient naturellement aux autres, à cette étrangère qui provoque l’étincelle, à ces ennemis de la ville voisine qui viennent les assiéger en clamant vengeance. C’est ce que met en lumière l’enquête alternée entre mise en scène des événements passés et témoignages filmés des acteurs du drame, bien plus tard. Leur regard n’a toujours pas varié, leur innocence est intacte. Comment auraient-ils pu savoir ?, répètent-ils à l’envi.
Le processus est banal et prévisible à pleurer, Andri n’aura aucune chance d’y échapper. Mais l’originalité du propos tient à cette mécanique dont la victime propitiatoire est un jeune homme lucide, qui marche à son inévitable supplice sans illusions, même lorsque les voiles sont levés et les mensonges confessés. Parce qu’il sait que clamer l’innocence ne suffira jamais et qu’aucun pardon n’est possible.
Sur un espace scénique très dégagé et plutôt obscur, trois grands panneaux mobiles se font murailles, maison, atelier, chambre d’amour ou de confidence, écran de témoignages filmés, et leur chorégraphie rend inexorable l’enfermement dans l’asphyxie progressive du drame.
Où étais-tu, toi, quand ils l’ont tué ?, crie Barbeline, égarée de douleur et de folie, au prêtre venu lui tenir les propos de sa veulerie compatissante. Et cette virulence résonne en écho, tandis que l’obscurité envahit la scène, les spectateurs, le monde contemporain. A.D. Théâtre 13 / Seine 13e.

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