ANA OU LA JEUNE FILLE INTELLIGENTE

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre394
du 21 mars 2016


ANA OU LA JEUNE FILLE INTELLIGENTE de Catherine Benhamou. Mise en scène Ghislaine Beaudout avec Catherine Benhamou et des marionnettistes.
Il était une fois une jeune fille si intelligente, qui revenait de l’école avec son cartable, et qui avait un grand-père, qui lui racontait toujours la même histoire. Et on l’avait mariée de force à un vieux Tonton, et il l’avait emmenée loin, et plongée dans la solitude du déracinement. Faute d’école, elle était Ana, celle qui était restée bête. Ana-lpha-bête, en somme. Mais la vie réserve bien des surprises, surtout quand les mots s’en mêlent et s’emmêlent, dans la découverte ébahie de leur force par celle qui en a été si longtemps privée. Mariage, rage, mirage, amer, magie, mari, agir, aimer… Tels les cailloux d’une Petite Poucette, qui la mèneront au pied de la Tour Eiffel, entre souvenirs, évocations, relents de passé douloureux, rêves avortés, sensations retrouvées des olives d’enfance, les mots vont construire, de case en case sur un jeu de l’oie centrifuge, le cheminement de la libération. Parce qu’ils sont l’ossature de l’Idée, têtus, tenaces, rétifs à l’oubli. Maigre comme un hareng, elle a duré dans une vie vide, sans pays, sans passé, sans nom, sans place. L’écriture va l’ouvrir au rire, à l’autodérision, à la mastication jubilatoire des syllabes et des sonorités. Les illusions tombent comme les longs cheveux, sans faire ni bruit ni commentaire. Et Ana lève enfin la tête, elle sait ce qu’elle ne veut plus. Elle est l’adolescente qui, à quinze ans, s’était arrêtée d’être intelligente et elle prend enfin le cours de sa curiosité et de sa liberté.
Le plateau est vaste, quasi vide. Au sol, une spirale ludique projetée par instants, sur le voile du fond, des lettres et les mots qu’elles forment alternativement. Au cœur de ce dépouillement, le monologue est sobre et répétitif comme une fable lancinante, animé par la marionnette qui donne à voir la jeune fille d’antan. Et ce qui était initialement un clair obscur sans espoir, à peine zébré du rouge sanguin de la nappe et de l’orange des fruits, se fait lumière et blancheur arrachées au terne quotidien. Des mots bien en bouche, des idées bien en tête, une vie désormais bien en place.
On sort sainement troublé de ce parcours sans miracle ni surprises, la tête pleine de l’émotion qui naît de ses propres interrogations. Quel mot de liberté choisir à son tour ? A.D. Artistic Théâtre 11e.

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