AMOK

Article publié dans la Lettre n° 392
du 8 février 2016


AMOK de Stefan Zweig. Adaptation Alexis Moncorgé. Mise en scène Caroline Darnay avec Alexis Moncorgé.
En mars 1912 un paquebot parti de Malaisie et en route pour l’Europe transporte dans sa cale une « cargaison funéraire ». Sur le pont, un homme évite une société qu’il ne peut plus supporter. Depuis dix jours, il se cache et ne parle à personne, mais « crève de son silence ». Il lui faut livrer son secret à quelqu’un. Un voyageur à ses côtés est son oreille, son public, prêt à recevoir sa confidence.
Amok, 24 heures de la vie d’une femme, Le Joueur d’échec, Stefan Zweig suit le même mécanisme, celui d’un protagoniste qui remémore une expérience douloureuse personnelle, ou celle d’un autre dont il a été le témoin. Alexis Moncorgé rend le déroulement de l’histoire passionnant. Seul dans un espace vide, excepté deux ou trois accessoires, il incarne l’homme taciturne et secret du paquebot qui s’interroge sur le rôle du médecin, profession qu’il exerce, puis revient sur les raisons de son séjour en Malaisie. Son devoir est d’aider toute personne en détresse, tout au moins d’essayer, mais ce devoir ne s’arrête-t-il pas là où il n’a plus le pouvoir de l’accomplir ? Exerçant à l’hôpital de Leipzig, il a été acculé à s’engager pour sept ans auprès du gouvernement hollandais après un acte indélicat. Tournant le dos à l’Europe, il s’est embarqué pour la Malaisie et s’est retrouvé seul au milieu de la population indigène, à des kilomètres de la société européenne. Cinq ans ont passé. Dans ces forêts maudites, la solitude plonge quiconque dans l’indolence, la paresse et la boisson. Il ne fait pas exception. Plus incisif, il raconte le drame vécu, sujet de son histoire. Une femme européenne mystérieuse lui rend visite et sollicite son aide de façon un peu trop impérieuse. L’homme prend le pas sur le médecin. Se sentant méprisé, il veut l’humilier à son tour et refuse d’accepter sa requête. Mais après avoir appris qui elle est et surtout le motif de la détresse dans laquelle elle se trouve, sa raison se perd entre passion et folie. Il doit aider cette femme et il ne lui reste que trois jours. Il plonge alors dans une quête à la limite de la démence, qu’il compare à « l’amok », cette crise meurtrière dont sont atteints les opiomanes malais. Remuant ciel et terre, il entreprend une véritable course contre la mort mais arrive trop tard. Il ne lui reste que la promesse donnée. À bord du même paquebot que « la cargaison funéraire », il va accomplir un dernier acte. Il ira jusqu’au bout de son serment.
Habité par son personnage, porté par la mise en scène balayée de lumières de Caroline Darnay, Alexis Moncorgé s’embarque chaque soir dans un voyage au bout de l’enfer, prenant à témoin un public enthousiasmé qui, debout, l’applaudit à tout rompre. Théâtre de Poche 6e.

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